Quand repas et éthique se rejoignent

Les premières pages de la Bible consacrent l’humain comme un végétarien. Un régime qui ne durera pas. Dès le Déluge (Gn 6-9), Dieu lui permet de manger de la viande, sans son sang toutefois. Pourquoi ce revirement ?       

Le récit de la Genèse, au chapitre 1, procède à une répartition végétarienne de la nourriture. Aux humains et aux animaux sont assignés des végétaux. Mais différents végétaux ! Alors que les animaux se nourrissent des herbes vertes (la « verdure d’herbe », comprenant peut-être le vert des carottes et des plantes…), à l’humain sont donnés les « herbes semant des semences » (probablement les céréales) et les fruits. L’insistance est mise sur la reproduction comme s’il incombait à l’homme de ne pas épuiser la terre, de veiller à la biodiversité. L’auteur de la Genèse refuse pour l’humanité toute nourriture carnée.

 

Mais devant la sauvagerie de l’humain, manifeste dans l’épisode de Caïn et Abel, et qui se multiplie dans la suite, la répartition végétarienne va être revue et corrigée.

 

Cette correction aura lieu au moment du Déluge : « Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre (…) et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : « J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, (…) » Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur. (…) Il suivit les voies de Dieu (…) La terre s’était corrompue devant Dieu et s’était remplie de violence. Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti son chemin sur la terre » (Gn 6,5-12).

 

Cette dernière expression, expliquant la violence des hommes (« car »), est souvent passée inaperçue. C’est le mérite d’A. Wénin d’avoir su en souligner toute l’importance. Qu’est-ce en effet que cette voie, ce chemin détruit par les humains ? Le mot « chemin » en hébreu, dérèk, désigne fréquemment, au sens figuré, la « conduite » des humains, leur comportement éthique. D’où la question : où, dans les pages qui précèdent, « toute chair » se voit-elle proposer un chemin, une conduite « éthique » ? Où Dieu suggère-t-il un comportement aux humains ? L’exégète belge pense que c’est quand il leur a proposé la nourriture végétale. Ce chemin symbolisait la douceur dans laquelle l’humanité devait s’engager pour construire et vivre dans un espace pacifié. Un chemin qui symbolisait également sa reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, sa volonté de lui faire une place dans le monde tout autant que son renoncement à se placer au centre du monde.

 

            Après le Déluge, Dieu repense le « chemin » éthique de l’humain. En effet, l’humain devient alors le prédateur des animaux (qui craignent de lui servir de nourriture) et leur rival (il peut manger leur nourriture). Dieu fait une place, limitée à la violence (la consommation du sang est interdite) en espérant probablement que cette concession permette à l’humain d’assouvir son « animalité » (Gn 4), de faire cesser les violences intra-humaines et de faire advenir l’humain à l’image de Dieu. Passé et présent nous montrent qu’il n’en est rien. Christ seul peut réussir ce chemin.

 

 

 

 

 

#Dossiers

NEWSLETTER

Pour aller plus loin

Violence dans l’église : Nommer, comprendre, éclairer, un état des lieux nécessaire
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Violence dans l’église : Nommer, comprendre, éclairer, un état des lieux nécessaire
Depuis quelques années, plusieurs affaires douloureuses ont secoué le protestantisme français et mis en lumière la difficulté de nos Églises à affronter la réalité des violences sexuelles et sexistes. Dans la continuité des rapports qui ont marqué la société et nos propres institutions, il est devenu indispensable de poser un regard lucide et pédagogique.
Écouter et réparer : La commission reconnaissance et réparation
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Écouter et réparer : La commission reconnaissance et réparation
La Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) a été fondée en novembre 2021 à l’initiative de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) de l’Église catholique. Son rôle est de reconnaître, en toute indépendance, les violences sexuelles commises par des religieux et de proposer des formes de réparation pour les victimes. Elle est présidée par Antoine Garapon, magistrat honoraire et ancien juge des enfants.
Édith Tartar-Goddet : Prévenir les abus, un travail de fond pour l’Église
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Édith Tartar-Goddet : Prévenir les abus, un travail de fond pour l’Église
Édith Tartar-Goddet a publié en 2020 un ouvrage sur la toute-puissance humaine et les abus de pouvoir dans les Églises. Elle attire l’attention sur la banalisation de certaines violences. Pour les victimes, c’est alors la double peine : à la souffrance succèdent l’indifférence et l’isolement.
Deux ans d’existence de la cellule VSS des EEUDF : l’heure du bilan
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Deux ans d’existence de la cellule VSS des EEUDF : l’heure du bilan
En octobre 2022, le conseil d’administration des Éclaireuses et Éclaireurs Unionistes de France (EEUdF) a adopté un texte concernant les violences sexistes et sexuelles (VSS). Par ce texte, l’association s’engage notamment à agir concrètement pour éduquer à des relations humaines harmonieuses et à l’égalité des genres, et pour lutter contre les VSS.
EPUdF : des outils pour lutter contre les violences
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
EPUdF : des outils pour lutter contre les violences
Depuis quelques années l’Église protestante unie de France travaille la question des violences en Église.
Animal, on est mal
Dossiers
Animal, on est mal
Le droit français ne reconnaît les animaux comme « des êtres vivants doués de sensibilité » que depuis un an. Cela ne suffira pas pour que leur soient épargnées les souffrances, d’autant plus intolérables qu’elles sont évitables, infligées par l’élevage intensif, les conditions d’abattage et la recherche scientifique…
L’espérance malgré tout
Haïti, la rançon de l'indépendance
L’espérance malgré tout
Quand on regarde le niveau de misère auquel le peuple haïtien est soumis depuis des décennies, on comprend difficilement qu’en Haïti le taux de suicide ne soit pas de loin plus élevé que celui des autres pays des Caraïbes. C’est pourtant dans ce contexte qu’on trouve des hommes et des femmes de foi qui décident de continuer d’oeuvrer malgré la mauvaise foi de ceux qui installent, nourrissent et maintiennent la destruction de la vie en Haïti.
Agir pour tous les enfants
Haïti, la rançon de l'indépendance
Agir pour tous les enfants
Depuis 1986, la Fédération des écoles protestantes d’Haïti (FEPH) s’est fixé pour objectif de garantir une éducation de qualité accessible à tous les enfants. Alors que les gangs armés n’hésitent pas à enrôler des enfants, elle est plus que jamais indispensable à la jeunesse haïtienne.
Le prix de l’indépendance
Dossiers
Le prix de l’indépendance
200 ans après l’indépendance, le remboursement de la dette d’Haïti à la France est toujours au centre des discussions. Mais de quoi s’agit-il vraiment ?