Arielle Domon, pourquoi avoir choisi le film des frères Dardenne ?
Jeunes mères était l’avant-dernier film présenté au festival de Cannes. Nous l’attendions car les films de Jean-Pierre et Luc Dardenne ont toujours quelque chose en résonance avec nos questions, nos convictions. Lors du 40e anniversaire du jury œcuménique, en 2014, nous leur avions d’ailleurs décerné un prix spécial pour l’ensemble de leur œuvre. Dans tous leurs films, il y a des problématiques très humaines, très humanistes. Cette fois-ci le jury s’est dit : enfin un film sur ce sujet, celui des jeunes mères adolescentes ! Le film les met en lumière, tout comme les institutions et les personnes qui s’engagent à leurs côtés.

Qu’est-ce qui vous a personnellement touchée dans ce film ?
Les frères Dardenne ont quelque chose d’unique dans leur façon de faire jouer des acteurs peu connus. Il y a beaucoup d’authenticité et de spontanéité chez ces jeunes femmes. Les réalisateurs regardent avec empathie chacune de leurs histoires. Je comprends qu’ils aient reçu le prix du scénario pour ce film choral, avec plusieurs personnages, qui parle de plusieurs cas différents.
Quels autres films ont retenu l’attention du jury œcuménique ?
Le film qui a reçu la palme d’or, Un simple accident de Jafar Panahi, était l’un de nos favoris. Mais l’an dernier le jury œcuménique avait déjà attribué son prix à un film iranien, Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof. J’ai personnellement défendu le film de Jafar Panahi jusqu’au bout. Car dans ce film tourné en Iran dans la clandestinité, il y a une critique de la torture mais aussi beaucoup d’humour. Les personnages du film transportent en van celui qui les a torturés en prison. Eux aussi cheminent, si bien que les deux femmes du groupe se demandent : est-ce qu’on doit lui faire ce que nous avons subi ? À la fin du festival, le jury œcuménique avait aussi unanimement apprécié un troisième film : The History of sound d’Oliver Hermanus. Un film imprégné de musique et de son, qui parle d’un coup de foudre artistique et humain.
Comment les membres du jury œcuménique sont-ils choisis ?
Les jurys œcuméniques des festivals sont constitués par l’association catholique Signis et par Interfilm [organisation internationale fondée par des protestants européens en 1955, NDLR]. Pour le festival de Cannes, il vaut mieux être déjà aguerri. On m’a proposé d’y participer car j’avais déjà l’expérience des jurys œcuméniques des festivals de Fribourg, Locarno, Mannheim et Berlin.

En quoi consiste le travail du jury pendant le festival ?
Les membres du jury œcuménique voient tous les films de la sélection officielle du festival de Cannes, 22 cette année. Nous nous réunissons tous les deux ou trois jours pour en parler, en ayant en tête les critères du jury œcuménique : grande qualité artistique, message de l’Évangile, responsabilité chrétienne, dimension universelle, défis et espérances. Il y a une forme de convergence entre nous et parfois des débats animés – le tout en anglais, car nous sommes de nationalités différentes.
Comment avez-vous perçu l’édition 2025 du festival de Cannes ?
Il y avait beaucoup de noirceur dans les films. Les premiers jours, nous étions même catastrophés ! Mais nous nous disons cela tous les ans. Car le cinéma reflète notre société contemporaine. Nous sommes confrontés au même problème quand nous parlons de films tristes dans nos réunions Pro-Fil. Cette noirceur s’explique par le fait que le cinéma veut exprimer quelque chose de fort, quelque chose qu’on a besoin de faire sortir.
Quel est l’intérêt d’un regard chrétien œcuménique au festival de Cannes ?
Il témoigne d’abord d’une belle histoire d’évolution des civilisations. Nous sommes passés d’une religion qui interdit, qui censure, à des membres de communautés chrétiennes qui s’ouvrent, qui veulent comprendre et tisser des liens avec le monde du cinéma. Nous avons un regard particulier sur cet art parce que nous avons notre propre regard sur le monde, nos propres valeurs. Notre présence au festival de Cannes est aussi un témoignage.
Que vous a apporté votre participation au jury œcuménique ?
C’est toujours un enrichissement grâce aux rencontres, d’abord entre les membres du jury. Nous sommes de nationalités, de religions et de formations différentes, mais nous avons des valeurs communes. Au départ, nous ne nous connaissons pas et tout d’un coup nous parlons, la mayonnaise prend. C’est assez magique ! Participer à ce jury était aussi pour moi la réalisation d’un rêve : être dans le saint des saints, au cœur du plus grand festival de cinéma.
D’où vient votre amour pour le cinéma ?
C’est Henri Agel, le grand critique de cinéma catholique, qui m’a initiée à cet art. À l’âge de 15 ans, une amie m’a emmenée à une session de cinéma en Suisse, pendant une semaine. Cela m’a vraiment marquée. Nous regardions un film, marchions le long du lac Léman, avant d’en parler tous ensemble. J’ai retrouvé Henri Agel à Montpellier, à l’université, où il a donné le premier cours de cinéma. C’était avant que mon père [le pasteur Jean Domon] ne s’y intéresse. Lui est ensuite devenu producteur d’émissions télévisées, dans les années 1980, puis a fondé l’association Pro-Fil, en 1992. Nous nous sommes retrouvés sur ce terrain commun.
Vous avez été entourée toute votre vie par les livres. Qu’est-ce que le cinéma vous a apporté, par rapport à la lecture ?
Les livres sont très importants pour moi depuis l’enfance. Adulte, j’ai été libraire à Paris pendant vingt ans, avant de revenir à Montpellier. Avec le livre, nous créons des images à partir de ce qu’on lit. Dans le film, c’est quelqu’un qui nous donne cela par l’image. C’est une autre personne qui nous dit cette histoire, c’est une confrontation avec un autre humain.
Le prix du jury œcuménique du festival de Cannes 2025 : Jeunes mères des frères Dardenne
