Le cadeau d’une écoute

Dans la tradition juive qui rejette toute représentation possible de Dieu, tout se joue dans l’écoute de la parole et de sa transmission. Et pour nous, qu’est- ce que l’écoute et que met-elle en jeu ?

Judaïsme et Christianisme

« Ecoute, peuple d’Israël. Adonaï (YHWH) est notre Dieu. Adonaï (YHWH) est Un » (Deut. 6.4). Le Chema Israël est au cœur de la spiritualité juive. C’est ainsi que depuis des milliers d’années, cette prière borne la journée et l’existence du croyant juif. C’est la toute première prière que les enfants apprennent dans leur éducation juive. C’est celle que le croyant dira juste avant de mourir ou qui sera récitée par la personne qui l’accompagnera ; il la récite deux fois par jour, matin et soir pour proclamer que c’est le même Dieu qui a créé le jour et la nuit. Elle a d’ailleurs été prononcée aux pires heures de l’histoire du peuple d’Israël, au temps des martyrs juifs de l’Antiquité ou du Moyen Âge, mais aussi aux heures sombres de la Shoah. Celui/ celle qui la prononce est le témoin du Dieu unique dans le monde et de la transmission de ce message à travers les générations. Le Chema n’est pas une prière que l’on peut dire du bout des lèvres. Elle invite celui/celle qui la prononce à être attentif au sens profond des choses et non à leur apparence.

Qu’est-ce l’écoute dans la tradition juive ?
L’écoute, c’est à la fois la prière et l’étude : le juif prie ce qu’il étudie et étudie ce qu’il prie. Quand l’homme prie, il s’adresse à Dieu en s’attendant à ce qu’il lui réponde. « Quand je t’appelle au secours, Seigneur, écoute-moi, accorde-moi ta grâce et ton réconfort et réponds-moi » (psaume 27.7). Quand il étudie, c’est Dieu qui lui parle. Cette prière va passer par son corps mais aussi par son intelligence, sa réflexion, sa conscience. Les tephilin attachés au bras et à la tête lors de la lecture du Chema le lui rappellent. Dans la tradition juive, la vie religieuse et le rapport à Dieu se vivent de manière incarnée, elles s’inscrivent dans la matière et la réalité terrestre et pas seulement dans la contemplation. C’est, par conséquent, une prière qui a des implications éthiques. Elle invite le croyant à réfléchir en permanence, du matin au soir, à sa manière d’habiter le monde, de vivre ses relations au sein de la famille et de la société, car confesser le Dieu unique, c’est aussi reconnaître que toute personne rencontrée a été créée par Dieu et procède de ce Dieu un qui a créé l’être humain à son image.

L’écoute : un voyage entre l’oreille et la bouche
J’ai découvert au printemps dernier une vidéo de 37 minutes très riche à écouter et à réécouter(1). Il s’agissait d’un entretien sur l’écoute entre la rabbine Delphine Horvilleur et Omar Guerrero, psychanalyste et vice-président de l’Association lacanienne internationale (ALI). « Je crois, disait Delphine Horvilleur, qu’il n’y a pas de plus grande distance au monde que celle qui sépare la bouche de quelqu’un de ses propres oreilles. Quand quelqu’un me dit quelque chose, je pars du principe que, très souvent, lui-même ne s’entend pas. Il me dit quelque chose qu’il n’a pas nécessairement entendu… Ma fonction consiste alors à écouter ce qu’il dit, à reconnaître dans un premier temps que ce que j’entends n’est peut-être pas exactement ce qu’il dit, mais en tout cas à tenter de reformuler ce qu’il m’a dit pour que peut-être lui l’entende. Je suis dans une espèce de voyage entre la bouche et l’oreille, c’est-à-dire entre la bouche de l’autre et mon oreille, entre ma bouche et son oreille. Il y a quelque chose de l’ordre d’un voyage dans cette écoute. » Delphine Horvilleur poursuit un peu plus loin : « Le langage est quelque chose de si subtil et complexe que les mots peuvent toujours vouloir dire autre chose, qu’on en soit conscient ou non. Et donc cette possibilité du dérapage de sens, du déraillement de sens, est ce qui permet la relation. Je crois que la seule raison pour laquelle on se parle, c’est qu’on n’est jamais complètement sûr que l’autre comprend ce que l’on veut dire. »
Je trouve ce texte de Delphine Horvilleur très juste spirituellement. Oui, nous avons besoin de nous rencontrer, de nous confronter à l’autre différent de nous pour progresser sur notre propre chemin de vie, car nous sommes des êtres de relation et de parole tout comme la personne de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Aussi, quand Jésus nous dit : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez- vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13.34), j’entends aussi qu’il nous dit : « écoutez-vous les uns les autres comme je vous ai écoutés », « accueillez-vous les uns les autres comme je vous ai accueillis », « soyez attentifs les uns aux autres comme j’ai été attentif à chacun de vous ». Notre service de l’écoute s’enracine dans notre relation au Christ.

Un chemin d’amour et d’humilité
Écouter n’est pas simple du tout. À bon entendeur salut ! C’est tout un art d’être là, disponible auprès de cet autre humain qui sollicite notre écoute, sans projeter sur lui/elle nos propres peurs, angoisses ou préoccupations, sans vouloir résoudre ses problèmes, sachant qu’il/elle a déjà en lui-même les réponses à ses propres questions. Écouter, c’est d’abord accepter d’être décentré de soi, apprendre à se taire, offrir cette hospitalité dont l’autre a besoin. Tous ceux et celles qui sont dans l’écoute et l’accompagnement ont éprouvé la difficulté de faire ce chemin. Naturellement, nous ne l’empruntons pas car il implique une remise en question permanente. Il passe aussi par ces temps mis à part dans la présence de Dieu (Matthieu 6.6), temps que Jésus lui-même prenait au cours de son ministère terrestre, se retirant pour prier son Père dans la solitude (Luc 5.16).

Dans un monde qui met l’accent sur la réussite sociale et économique, celle-ci allant souvent de pair avec le fait d’être plus compétitifs et performants que les autres, voilà que la Parole nous invite à découvrir un nouveau rapport au monde et aux autres : en ralentissant quand nous sommes invités à aller toujours plus vite, en prenant le temps d’écouter l’a(A)utre, de prier avec lui/ elle et, tout en le vivant dans le quotidien de nos vies, de devenir ainsi ces témoins de ce Dieu unique, universel, qui « a tant aimé le monde qu’il a don- né son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16).

En ce temps de Noël, puissions-nous nous offrir les uns aux autres le cadeau d’une présence chaleureuse, d’une écoute bienveillante.

(1) Cette vidéo n’est malheureusement plus disponible en ligne au moment où l’auteure a écrit ce texte. Si vous êtes intéressé(e), l’auteure de la méditation peut vous adresser le texte presque complet de cette rencontre sur simple demande.

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