
Que représente cette fête de la Fondation John Bost ?
Guillaume de Clermont : La fête est constitutive de l ’ADN de la Fondation John Bost. Il y a 150 ans, Jean-Antoine Bost (dit John Bost) organise une grande fête pour la dédicace d’un nouveau pavillon et, constatant le succès de la journée, il institue cette fête chaque année. Depuis lors, chaque année, les résidents, les familles, les professionnels attendent et préparent ce moment de l’année. C’est un moment « suspendu » pendant lequel on oublie qui est qui. L’essentiel, c’est que chacun trouve sa place, tel qu’il est, pour fêter la vie et partager la chance d’être dans une grande famille, la « famille John Bost ».
En 150 ans, comment la fondation a-t-elle évolué ?
G.d.C. : Elle a beaucoup grandi depuis les années 2000. En quinze ans, la fondation a pratiquement doublé de taille. Mais surtout, elle s’est déployée sur quatre régions avec, désormais, plus de 60% de son activité hors de la Dordogne (La Force, site historique). L’organisation de la fondation a donc changé : une direction générale à Bordeaux, quatre« territoires », la Dordogne, le grand Sud-Ouest, l’Île- de-France et la Normandie. Bien entendu, les pratiques professionnelles évoluent. S’il y avait une tendance à souligner aujourd’hui, c’est le renforcement du rôle et des compétences des infirmiers pour pallier le manque de médecins (particulièrement les psychiatres), et le renforcement de la télé- médecine qui constitue une vraie aide dans ce contexte de pénurie.
Nicolas Philibert, le public vous connaît pour avoir réalisé des films sur des franges très peu médiatisées de nos concitoyens. D’où vient l’intérêt que vous leur portez ?
Nicolas Philibert : Les personnes qui sont dans l’ombre ou dans les marges ont beaucoup à dire, parfois même beaucoup à nous apprendre. Prenez la psychiatrie : vous y rencontrez toutes sortes de personnes cabossées, hyper-sensibles, à vif, dérangeantes, attachantes, dont certaines ont des talents artistiques ou des facultés intellectuelles hors du commun, et qui vous poussent dans vos retranchements, qui mettent la barre très haut ! Pour un cinéaste, la psychiatrie est un champ inépuisable, parce que c’est une loupe, un miroir grossissant qui donne beaucoup à réfléchir sur l’état de la société mais aussi sur nous-mêmes, nos limites, nos failles, notre prétendue « normalité », et l’âme humaine en général. Le grand psychiatre Lucien Bonnafé disait : « On mesure le degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous ».
Comment avez-vous accueilli l’invitation de la Fondation John Bost ?
N.P : Je me souviens que lorsque j’étais enfant, mes parents parlaient souvent de La Force et pour moi c’était très mystérieux. J’étais loin d’imaginer qu’il s’agissait d’un lieu. Et voilà que la chance m’est offerte d’y aller, d’en rencontrer les équipes et d’en comprendre un peu mieux la philosophie. La fondation John Bost se définit comme « lieu de soin, lieu de vie, lieu de sens ». La combinaison de ces trois dimensions me semble plus que jamais essentielle, dans un monde où les lieux d’accueil sont de plus en plus soumis aux algorithmes et aux lois de la rentabilité. De nombreux lieux d’accueil deviennent donc des structures sans vie, où les équipes ne trouvent plus de sens dans ce qu’elles font et où les pensionnaires sombrent peu à peu dans la chronicisation.
La Fondation œuvre pour une société plus inclusive. Avez-vous le sentiment que la société a avancé sur l’intégration des personnes handicapées ?
N.P : Les mentalités évoluant tout de même un peu, les personnes handicapées sont sans doute moins stigmatisées qu’elles ne l’ont été, mais au quotidien, les difficultés qu’elles rencontrent demeurent innombrables : transport, scolarisation, discrimination à l’embauche, capacité d’accueil très insuffisante dans les établissements médico-sociaux… Je crains que la Fondation John Bost soit une exception. Bien sûr, ici et là, il y a des lieux qui résistent, des équipes qui restent effervescentes et imaginatives, mais cela devient de plus en plus difficile. Pour moi il n’y a pas les gens « normaux » et les autres. Nous sommes tous « différents ».
G.d.C. : Hélas, je dois me résigner à être très modéré dans ma réponse. Bien entendu, il y a une prise de conscience largement partagée sur la nécessité de faire évoluer la société pour faciliter la vie de ceux et celles qui sont différents. Et il y a eu quelques progrès, sur l’accessibilité, sur la participation citoyenne. Mais tant reste à faire. Et le temps de la transformation semble tellement long. Le souvenir des jeux paralympiques nous habite encore ainsi que l’émotion du film Un p’tit truc en plus. Ce sont des évènements essentiels pour sensibiliser un large public. Mais l’action politique reste encore très attendue pour peser sur le cadre juridique et transformer peu à peu la société.
Les besoins des familles ont-ils changé ?
G.d.C : Il faut d’abord parler des attentes des familles sans solution. Elles sont tellement nombreuses, ces familles qui ne trouvent aucune place pour leur proche en situation de handicap. Ou bien ces familles qui n’ont pas eu d’autre choix que de recourir à une solution d’accueil en Belgique. Ou encore ces familles qui redoutent avec angoisse ce moment où leur enfant, devenu adulte, doit quitter sa structure d’accueil et chercher une place dans un établissement pour adultes. Pour les familles qui ont trouvé une solution, elles attendent de l’institution qu’elle reconnaisse et accompagne chacun dans sa singularité, pour accomplir ses rêves et ses envies, malgré le handicap. Aujourd’hui, les familles aspirent à des relations de partenariat avec les professionnels des établissements pour que leur savoir expérientiel (elles connaissent mieux que quiconque leur enfant en situation de handicap !) soit pris en compte dans les parcours de soin et d’accompagnement.
Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?
G.d.C. : D’abord, porter une attention soutenue sur les équilibres budgétaires des établissements. Il en va de la survie des missions de la fondation. Ensuite, nous devons vraiment réussir le pari de « l’autodétermination » des personnes que nous accompagnons : aller le plus loin possible dans l’accompagnement de chacun, quel que soit son handicap, pour rendre possible la réalisation de son projet de vie personnel. Enfin, la fondation John Bost devra faire évoluer son offre de soin et d’accompagnement, en lien avec les partenaires sur les territoires, pour répondre au mieux aux besoins des familles. Quelle sera l’offre de la Fondation John Bost, dans 10, 15, 20 ans ? C’est maintenant qu’il faut y réfléchir pour nous y préparer.

© Fondation John Bost
150 ans de fête à la Fondation John Bost
