Salonique, témoignages d’une communauté disparue

A la fin du xixe siècle, Salonique fait figure d’exception dans l’empire Ottoman : c’est la seule ville qui compte une population majoritairement d’origine juive. Une exceptionnelle donation photographique redonne vie à cette histoire particulière.

Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme expose des photos issues de la collection privée d’un passionné de l’empire Ottoman. Elles permettent de découvrir l’histoire peu banale de la ville de Salonique (aujourd’hui Thessalonique) qui ne fut rattachée à la Grèce qu’en 1912 et dont la population était majoritairement juive à la fin du xixsiècle.

 

 

Implantation ancienne

 

Dès le xiisiècle, un voyageur compte 500 familles juives d’origine grecque à Salonique, auxquelles s’ajoutent de petits groupes venus d’Italie et de Serbie. Lors de l’expulsion des juifs espagnols en 1492, ce ne sont pas moins de 20 000 refugiés qui viennent s’installer dans la ville. À la fin du xviisiècle, les quartiers juifs sont plus nombreux que ceux peuplés par les musulmans, tandis que les chrétiens sont devenus très minoritaires. Une communauté particulière s’ajoute à ces trois religions : les sabbatéens, fondés par un juif considéré par beaucoup comme le messie et converti de force à l’islam en 1666. Ce groupe, pratiquant des rites secrets et mal considéré par les autres religions, est devenu influent dans la ville et ses membres accèdent à d’importantes fonctions.

 

Les juifs de Salonique se répartissent dans toutes les classes de la société, avec une minorité riche et influente, tandis que les plus nombreux, très pauvres, sont marchands ambulants, journaliers ou ouvriers. Les femmes (moitié moins payées que les hommes) travaillent surtout avant leur mariage dans les manufactures qui se développent au cours du xixsiècle. L’exposition ressuscite ce monde disparu avec des photos qui montrent l’animation du port, de la vie dans les rues mais aussi des photos posées en studio de femmes ou d’hommes en habits traditionnels.

 

 

 

Montée des périls

 

C’est à la fin du xixsiècle que l’histoire s’assombrit. Les premières évolutions sont positives, avec par exemple un rescrit impérial en 1856 proclamant l’égalité des citoyens avec la liberté de culte et un grand développement économique et intellectuel. Un journal en judéo-espagnol est même fondé en 1874. La ville se modernise avec une particularité : les commerces sont fermés le samedi et pendant les fêtes juives, ce qui est révélateur de l’importance de la communauté. Pourtant, deux grands incendies ravagent la cité, en 1890 et surtout en 1917, qui ruinent particulièrement les quartiers juifs. Les photos anciennes exposées sont d’autant plus précieuses qu’elles permettent de voir à quoi ressemblait Salonique avant ces destructions.

 

Surtout, la situation politique devient difficile. Les pogroms d’Europe de l’Est entraînent l’arrivée de nombreux réfugiés juifs russes, moldaves ou polonais. La succession des guerres balkaniques aboutit au rattachement de Salonique à la Grèce en 1912, avant que la Première Guerre mondiale apporte son lot de destructions. Plutôt attachés à l’empire turc, les juifs de Salonique sont mal vus par les Grecs, avec lesquels rivalités et affrontements se multiplient. Enfin l’occupation allemande va mettre un terme à l’existence même des juifs de la ville. Les persécutions culminent avec la déportation et la mort de 96 % d’entre eux tandis que toutes les traces de leur vie à Salonique disparaissent : la nécropole de 35 hectares est détruite, les noms de rues en l’honneur de citoyens juifs sont changés…

 

Restent les photos, témoignages mélancoliques d’une histoire effacée.

 

 

 

Salonique « Jérusalem des Balkans », 1870-1920, jusqu’au 21 avril au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 71 rue du Temple, 75003 Paris. Ouvert mardi, mercredi, jeudi et vendredi de 11 h à 18 h (mercredi jusqu’à 21 h), samedi et dimanche de 10 h à 19 h.

 

 

 

 

 

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