Cela fait aujourd’hui une vingtaine d’années que je suis aumônier dans le cadre de la fonction publique hospitalière. J’accompagne beaucoup de personnes en fin de vie, mais pas uniquement. Je peux témoigner de ma joie d’être à cette place, d’offrir à celui ou celle qui fait appel à ma présence un signe de la présence et de l’amour infini et inconditionnel de Dieu. J’écris cette page au moment où nos députés ont adopté le 27 mai dernier deux nouvelles propositions de loi concernant la fin de vie, l’une favorisant dans les dix ans à venir le développement des soins palliatifs et la création de maisons d’accompagnement sur l’ensemble du territoire français, l’autre ouvrant le droit de demander une aide à mourir pour des personnes qui sont « condamnées » par la médecine mais qui ne veulent pas l’être à une longue agonie. Le texte précise que pour avoir le droit d’accéder à cette aide elles devront répondre à cinq critères : être majeures ; de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ; avoir une maladie grave, incurable, en phase avancée ou terminale – la phase avancée se caractérisant par une aggravation de leur état de santé qui affecte sévèrement leur qualité de vie ; ressentir une souffrance psychologique constante et insupportable (c’est la volonté et la subjectivité de la personne concernée qui comptent avant tout, alors que les textes précédents de 2005 et de 2016 s’appuyaient sur le caractère réfractaire de la souffrance, la passant par le filtre des soignants et de leur évaluation), et formuler leur demande de façon libre et éclairée, ce qui exclut les personnes dont le discernement se trouve altéré par une maladie psychiatrique et/ou neurodégénérative.
Protéger les plus vulnérables
Ce cadre a le mérite selon moi de protéger les personnes les plus vulnérables. Je pense en particulier aux mineurs. La demande de hâter leur mort ne vient généralement pas d’eux mais plutôt du côté parental dans le cas d’enfants polyhandicapés. C’est le constat que partageait avec nous l’équipe médico-soignante « Enfant-DO » du CHU de Toulouse dans le cadre de la 16e journée régionale des soins palliatifs organisée le 31 janvier 2025 à l’Oncopole. Cette journée nous a offert la possibilité de réfléchir ensemble aux questions suivantes : « La demande du patient de hâter sa mort. Quelle est-elle ? Comment l’accueillir ? Qu’en faire ? » Que ce soit dans le contexte pédiatrique, gérontologique ou de l’hospitalisation à domicile, les équipes de soins palliatifs qui se sont exprimées ce jour-là ont redit l’importance de ne jamais banaliser la demande, de toujours écouter les cris de détresse et de s’appuyer sur la collégialité pour apporter une réponse. Car derrière la demande de hâter sa mort souvent, le patient exprime plus le désir de ne plus vivre ce qu’il est en train de vivre que celui de mourir.
C’est pourquoi autant la nouvelle loi, qui renforce les moyens et l’accès aux soins palliatifs, répond aux attentes de la Fédération protestante de France, autant celle qui ouvre le droit à une aide à mourir suscite des réactions contrastées parmi les protestants très partagés sur la question. Pour certains, cette ouverture représente la marque ultime de liberté permettant d’abroger la souffrance lorsqu’il n’existe plus aucune issue thérapeutique. D’autres y voient une forme d’absolutisation de l’autonomie ou de l’autodétermination qui ne tient pas compte de la fragilité des personnes qui pourraient y avoir recours, se sentant inutiles ou étant devenues un poids pour leurs proches.
Respecter les ambivalences
L’histoire que m’a racontée récemment une médecin responsable des soins de support à l’Oncopole va dans ce sens-là : il est question d’une patiente hospitalisée dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui demande, comme la loi Claeys-Leonetti (2016) le lui permet, une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Celle-ci permet à la personne en fin de vie d’être soulagée de ses souffrances réfractaires en étant plongée dans un sommeil dont elle ne se réveillera pas. Précisons que cette sédation n’est pas un geste euthanasique. Elle ne provoque pas la mort mais la laisse advenir. La médecin, ayant pris connaissance de la demande de la patiente, est allée s’asseoir à son chevet. Elle a pris le temps de l’écouter et cette écoute bienveillante a été une aide active à vivre pour cette femme malade qui a pris conscience au cours de l’entretien qu’elle avait encore quelque chose à vivre avant de mourir?: écrire sa biographie. Il existe en effet au CHU de Toulouse, comme dans bien d’autres établissements de santé en France, une biographe hospitalière qui recueille le récit de vie des personnes en fin de vie comme un texte sacré qui pourra leur être transmis ainsi qu’à ceux et celles qu’elles désigneront. Le plus étrange dans cette histoire singulière, c’est la réaction de la famille. Cette dernière, qui n’avait pas eu connaissance de la démarche de la médecin, a été déstabilisée quand elle a appris ce revirement de dernière minute. Leur proche devait avoir une sédation profonde et continue ! La fin était programmée ! C’était sans compter sur l’inattendu de la grâce de cette rencontre qui a réveillé un désir.
Ce récit m’a beaucoup touchée. Il met bien en évidence l’importance de proposer un accompagnement spirituel aux personnes en fin de vie, de les écouter avec attention, de donner du temps au temps, de ne rien précipiter, de respecter leurs ambivalences, avec des jours clairs où elles ont envie de vivre et d’autres où elles sont fatiguées de se battre. Le risque, si nous négligeons de le faire, c’est que les plus fragiles se sentent obligés de partir, que ce droit nouveau à mourir devienne un devoir de mourir. L’essentiel est donc de garder le lien et de les informer de tous leurs droits, en particulier de ce droit fondamental de changer d’avis. Il est bien sûr tout aussi essentiel d’être disponible pour la famille, que ce soit avant ou après le décès de leur proche, et de prendre en compte son épuisement souvent occasionné par la confrontation à la maladie grave et à la mort.
J’écris ces quelques lignes à partir de ma place d’aumônier, sachant que le système législatif français se met tout juste en marche, que ces nouvelles propositions de loi vont être travaillées au Sénat, puis revenir à l’Assemblée nationale avant d’être adoptées, puis de faire l’objet de décrets d’application. De l’eau va donc couler sous les ponts avant que nous ne soyons fixés. La discussion est loin d’être terminée et c’est tant mieux, au vu de la complexité de la question et de l’infini des situations de fin de vie qui nécessitent de la pondération, de la mesure et du tact.

