Distribué initialement dans peu de salles, Fanon a bénéficié d’un bouche-à-oreille rare de nos jours, lui assurant un succès inattendu. Ce n’est pourtant pas un grand film, malgré la sincérité du réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny. On peut le trouver bavard, trop didactique, hagiographique, raide dans ses enchaînements et certains dialogues. Cependant, la qualité de l’interprétation, notamment d’Alexandre Bouyer dans le rôle-titre, et la trajectoire même de Fanon rendent ce film passionnant, au-delà de ses défauts. C’est parce qu’il prend peu de liberté avec la réalité historique, mais se concentre sur une question singulière : notre rapport à la violence, tel que le psychiatre l’analyse.
La violence représentée dans le film est souvent un souvenir d’une violence que le film donne à voir, générateur de trauma psychique, chez le colonisé mais aussi l’occupant, qu’elle « détruit de l’intérieur », dit Fanon à un soldat français qui ne supporte plus de torturer. Après son engagement en 1943 dans l’Armée française de la Libération, que le film laisse de côté pour se concentrer sur la période algérienne, Fanon n’a jamais exercé de pratique violente et a combattu celles qui existaient, racistes et coloniales. Il refuse par exemple, dans une des premières scènes, que ses patients soient enchaînés, organise pour eux des activités, un dialogue constant. Il s’est engagé dans un soutien au FLN (Front de libération nationale) par l’écriture d’articles. Mais dans ses écrits, il analyse la source de la violence des combattants et en rend le colonisateur responsable en grande partie. C’est, croit-il, une étape inévitable, même s’il ne justifie pas la violence individuelle. Son combat est un combat pour la dignité humaine et la liberté. En cela le film le rejoint.
Fanon a donc le mérite d’ouvrir un débat et son succès imprévu montre sa nécessité.
Un film de Jean-Claude Barny, 2h13

