Philippe Chareyre et Hugues Daussy : Une histoire des institutions huguenotes

Les presses universitaires de Rennes ont récemment publié "La France huguenote". Histoire institutionnelle d’une minorité, sous la direction de Philippe Chareyre, professeur à l’université de Pau, et Hugues Daussy, professeur à l’université de Besançon. Un panorama complet de l’évolution des institutions protestantes du xvie siècle jusqu’à la période du Refuge.

Pour commencer, une question régionale pour Philippe Chareyre. Vous participez à AcRoNavarre, un projet de recherche mené en collaboration entre l’université de Pau et plusieurs universités espagnoles : pouvez-vous nous présenter ce projet ?

 

P.C : AcRoNavarre est un projet de l’Agence nationale de la recherche qui a pour objectif de constituer un corpus des actes produits par les rois de Navarre au XVIe siècle qui se trouvent dans la région, mais même au-delà, parce que ce corpus a été dispersé entre différents dépôts d’archives au fil des héritages. Nous avons recensé environ 6 000 actes et on espère atteindre les 7 000 pour mieux comprendre comment fonctionnait la maison de Navarre et comment elle a réussi à reconstruire un État béarno-navarrais au XVIe siècle, dans lequel la reine Jeanne d’Albret, à partir des années 1560, a instauré la Réforme jusqu’à la proclamer comme étant la religion de l’État par les grandes ordonnances de 1571.

 

Le musée Jeanne-d’Albret vous a confié la rénovation de son parcours muséographique. Quelles en ont été les orientations ?

 

P.C : Le parcours va du XVIe jusqu’au XXe siècle : il est donc conçu dans une approche chronologique. Dans la partie XVIe et XVIIe siècles, nous avons favorisé l’ancrage local, le lien avec la dynastie de Navarre, avec la reine Jeanne d’Albret. La nouveauté, c’est que pour le XIXe et le XXe siècles, nous allons développer des axes forts, comme ceux de l’école et de la laïcité, le thème des missions, celui du pyrénéisme, pour en faire un musée protestant ancré dans son territoire.

 

Parlons de ce livre qui est le fruit d’un travail de dix ans. Vous le dites dès le début, la grande innovation protestante, c’est le système consistorial synodal.

 

H.D : C’est un système créé pour survivre. Au XVIe siècle, vous avez une minorité protestante (environ 10 % de la population du royaume de France) contre 90 % de catholiques, et une monarchie catholique. La création de ces institutions vise à structurer cette minorité sur le plan ecclésiastique d’un côté, sur le plan politique de l’autre, pour lui permettre de se doter d’une organisation qui lui permettra de survivre en montrant qu’elle peut s’intégrer à l’État. C’est un système qui a vocation à être représentatif puisqu’il est fondé sur une hiérarchie d’assemblées représentatives. Le consistoire va envoyer des députés au synode provincial qui enverra des députés au national. Cette représentativité permet au système d’être un interlocuteur jugé acceptable par la monarchie, puisqu’il est réputé capable de s’exprimer au nom de l’ensemble des Églises réformées de France.

 

Portrait de Jeanne d’Albret, xvie siècle, galerie des
illustres du château de Beauregard, Cellettes
© Wikimedia Commons

 

 

Lorsque l’on délègue son pouvoir de décision à des représentants, lorsque le synode dicte aux individus une discipline commune, que reste-t-il du lien direct du croyant à Dieu ?

 

P.C : Le système consistorial synodal a été fondé par Calvin à Genève. Il est intrinsèquement mêlé à la réforme calviniste, qui cherche justement à rentrer dans un cadre politique. À Genève, c’est le cadre de l’État genevois, la cité-État, et en France, si cela avait marché, cela aurait été le cadre de l’Église réformée française nationale si les protestants avaient réussi à convertir la France entière, comme ils l’espéraient au début. C’est un système qui certes veut encadrer les fidèles mais lorsqu’on n’arrive plus à les convaincre, il les renvoie à leur conscience, et donc le lien direct du fidèle à Dieu est toujours présent.

 

La discipline ecclésiastique qui a été dictée en 1559 a succédé à la discipline morale. Ces institutions ont contribué, selon l’expression de Didier Boisson et Yves Krummenacker, à « façonner l’homme protestant ». Cette discipline imprègne la vie privée des fidèles : on leur interdit de chanter des chansons trop licencieuses, de danser ou encore d’épouser des catholiques. Elle va chercher à normer et à uniformiser non seulement la doctrine mais la vie de la communauté.

 

Par quoi est-elle motivée ?

 

P.C : Elle est motivée par le principe même de la Réforme. Il s’agit de réformer l’Église mais aussi de réformer les hommes. N’oubliez pas que la critique protestante envers le clergé catholique s’applique aussi aux laïcs. Ce que recherche cette Réforme, c’est d’arriver à une forme de sainteté laïque. La moralité a beaucoup mobilisé les consistoires durant le XVIe siècle. Elle a occulté la fonction de réconciliation sociale et de pacification que jouent les consistoires au sein des sociétés. En observant les quelques registres de consistoires qui ont échappé aux destructions, on s’aperçoit que ce qui est le mieux accepté par les fidèles, c’est que cette assemblée convoque toutes les personnes qui ont des différends et les amène à se réconcilier. Il y a une véritable pacification sociale au sein de ce corps qui est visible et qui a sans doute beaucoup contribué au succès de cette Église et à son maintien. Pour les aspects moraux, le résultat de l’action a été parfois plus contestable et on se rend compte, par la répétition des injonctions et des peines, que le système n’y arrive pas. Il y a une forme de résistance. La volonté de former un chrétien exemplaire va être plutôt cantonnée aux élites, aux pasteurs, aux anciens, et puis on va progressivement moins s’occuper des autres, même si on est capable de les sermonner aussi bien en chaire que devant l’assemblée des anciens, lorsqu’ils dépassent les bornes.

 

Dans la dernière partie du livre, on voit revenir cette volonté de normer et d’uniformiser pendant la période du Désert, par exemple dans le combat contre le prophétisme.
Puisqu’on savait que le combat pour la conquête du royaume était perdu, pourquoi n’a-t-on pas laissé libre cours à plus d’« autogestion » ?

 

P.C : C’est ce que l’on a fait d’une certaine manière, puisque dans la période du Désert, il n’y a plus de pasteurs. Parfois il y a quelques prédicants qui sillonnent les lieux, mais le plus souvent, on se replie sur le culte familial, qui s’appuie sur la lecture de quelques livres que l’on a cachés ou de quelques écrits qui arrivent au Désert par des voies secrètes. Pour échapper à la répression, on a intérêt à s’organiser clandestinement. Ces Églises clandestines vont plaider la liberté des Églises auprès de la monarchie et vont y parvenir d’une certaine façon en 1787, lorsque Louis XVI va octroyer l’édit de tolérance, qui ne donne pas la liberté de culte, mais la liberté d’État civil.

 

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À lire

 

 

La France huguenote. Histoire institutionnelle d ’ une minorité religieuse (XVIeXVIIIe siècle), Presses universitaires de Rennes, 2024. Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Chareyre et Hugues Daussy.

 

Musée Jeanne-d’Albret

 

 

 

 

 

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