Entre témoignage et indépendance, une parole pour le monde

Homme politique puis pasteur, ayant dirigé la Maison du protestantisme de Nîmes, Jean-Christophe Muller est un habitué de la parole publique. Dans cet entretien, il brosse un portrait de l’évolution du positionnement protestant dans la sphère publique au cours des siècles et son influence sur le paysage protestant actuel.

Rédaction du journal : Jean-Christophe Muller, le protestantisme donne actuellement l’impression que ses prises de position passent en partie par les déclarations de la Fédération protestante, mais qu’il existe aussi une foule de paroles très diverses en paroisse, dans les régions, au niveau national. Ce maillage d’influences contrastées laisse penser qu’une coordination est difficile, même si la diversité est appréciable. Cela vous paraît-il le fruit de l’Histoire ?

 

 

Jean-Christophe Muller : La diversité du protestantisme français (et mondial), faite de cultures, de jaillissements intervenus à des périodes différentes et laissant leur sillon dans notre marche collective, est un bon champ d’expérimentation et d’apprentissage à la pluralité de notre société. Cette pluralité, dont le vécu est souvent agonistique, loin de toute quiétude, fait partie de notre être même.

 

Il faut se rappeler que du xviie au début du xxe siècle, l’existence même du protestantisme relève d’une exigence de pluralité, religieuse bien sûr, mais partant d’une pluralité pour la vie même de notre pays.

 

Ce faisant, on peut dire (et la même chose peut être dite pour le judaïsme) que notre existence même est une prise de parole de fait pour la démocratie et la République, par le fait-même d’exister et de ne pas vouloir se plier à la religion majoritaire, tout en revendiquant (ce qui nous a longtemps été contesté) d’être pleinement partie prenante de la communauté nationale.

 

Le protestantisme, historique aussi bien qu’actuel, rejoint simplement par-là l’expression de Luther à la Diète de Worms en 1521 : « Ma conscience est captive des paroles de Dieu… Autrement, je ne puis. »

 

 

: Le protestantisme français, devenu très minoritaire, semble avoir construit une identité forte, sans être réellement visible dans la société. Cette liberté de conscience que vous évoquez est-elle marquée par des signes extérieurs tangibles, a-t-elle pu s’exprimer au cours des âges ?

 

 

J.-C.M : Ainsi, très tôt, j’ai appris à aimer les temples que je voyais dans chaque village des Cévennes où j’ai grandi (et plus tard dans le piémont et la plaine du Languedoc oriental), pas seulement comme les lieux où l’on se retrouve en assemblée (le moment où l’on fait Église) mais aussi comme une manifestation de la liberté de conscience revendiquée et exposée au grand jour : un temple du xixe siècle est en soi une prise de parole dans l’espace public, un symbole d’une liberté acquise et reconnue.

 

 

: La parole protestante dans l’espace public est donc visible par les édifices et les assemblées, comme un témoignage vivant de la Parole. Mais la parole publique est peu présente dans l’histoire générale de la France ; on y fait en tout cas peu référence, comme si les prises de position étaient en retrait et assez peu disruptives ou réservées à la sphère privée ou cultuelle. Est-ce réellement le cas ?

 

 

J.C.M : Il faut en effet comprendre la situation à l’aune du début du xixe siècle. Quand Napoléon reconnaît les cultes non catholiques présents en France, il leur assigne la fonction de gardiens de l’ordre moral. On peut s’en réjouir, mais ce geste donne aussi un visage renouvelé à cette perversion du christianisme inaugurée par l’empereur Constantin et ses successeurs au ive siècle de notre ère.

 

La parole publique (ou son absence) devient alors un apprentissage de l’obéissance aux autorités et l’intégration à la norme.

 

 

: À côté de cette parole publique, qui semble donc avoir été en partie muselée, l’Église a cependant développé une variété d’œuvres et de mouvements pour témoigner en actes de la foi chrétienne. On peut penser aux foyers de jeunes, aux missions populaires, à une inclinaison plus œcuménique dans l’entraide sociale, à la lutte contre l’illettrisme ou l’alcoolisme, etc. Ce foisonnement d’initiatives était-il alors une manière de reprendre la parole d’une autre façon ?

 

 

J.-C.M : Sans doute. La machine semblerait bien huilée si n’apparaissait la prédication méthodiste, hors des Églises concordataires de l’époque, pourchassée par les préfets pour menace à l’ordre public. La plupart des pasteurs en place en cette première moitié du xixe siècle se rangent à ce souci d’ordre, quand se fait alors entendre la voix de Samuel Vincent, pasteur à Nîmes, qui se souvient des combats, si récents alors, pour la liberté de conscience.

 

Il ouvre le chemin d’une Église qui ne se bat pas uniquement pour ses propres droits mais aussi pour les droits des autres, même s’ils pensent différemment de moi. Raoul Allier fera de même par ses articles dans Le Siècle pendant les débats préparatoires de la séparation des Églises et de l’État, pour demander une rédaction plus libérale que ce qui était envisagé, plaidant pour les droits des catholiques.

 

 

: Il peut paraître étrange que les protestants, minoritaires et pendant longtemps réprimés par l’État catholique, aient plaidé pour cette confession après le Concordat. Mais on se souvient effectivement que l’Église catholique ne relève pas à strictement parler du droit français mais du droit canon, ceci créant quelques gênes dans les discussions d’alors sur l’indépendance de l’État et des Églises. La réelle indépendance de ton et de parole des Églises vous paraît dater de cette période ?

 

 

J.-C.M : Quand se crée l’union des Églises évangéliques libres en 1848, la revendication d’une Église hors du Concordat est de fait une prise de position publique, à la fois pour une liberté de la prédication de l’Évangile libérée du pouvoir de l’État et pour un État qui serait libéré de l’influence de la religion majoritaire.

 

 

: Ce double mouvement de libération est important. Peut-être permet-il de comprendre les points de vue des protestants actuellement. La diversité protestante, notamment réunie au sein de la Fédération protestante, est certainement difficile à prendre en compte dans les débats d’aujourd’hui, tant la composition fédérative est vaste. On peut également penser à l’action de la Fédération pour coordonner, ou mettre en relation, les différents acteurs de la parole que sont les médias. Ces médias, pour certains indépendants par nature et par goût aussi bien des Églises que de l’État, exercent maintenant pleinement cette liberté de parole revendiquée dès 1848. Merci d’avoir rappelé cette tension entre l’indépendance et le témoignage, la nécessité d’une parole d’Église dans le monde et le cadre contraint qu’elle a dû affronter.

 

 

 

 

 

#CLR #Dossiers #Les protestants dans le débat public

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