Anne-Marie Feillens : « Il n’y a pas de domination possible »

Entretien avec Anne-Marie Feillens, présidente de la région Sud-Ouest.

Anne-Marie Feillens, présidente de la région Sud-OuestLa question des violences sexuelles s’est imposée lors du dernier synode régional à travers le rappel de l’affaire Herizo Rajakoba, qui a été condamné par la justice et radié. La région a-t-elle tiré des enseignements de cette affaire ?

Oui. Au moment où cette affaire est survenue, un flou sur les possibilités d’action et les mécanismes à activer existait encore. Aujourd’hui, on sait exactement quoi faire et à qui s’adresser. En cela, l’adhésion de l’EPUdF à la Commission Reconnaissance et Réparation a été très importante, parce que celle-ci nous a beaucoup éclairés là-dessus. Après le synode de 2024, une réunion a eu lieu avec tous les présidents de conseils presbytéraux (CP) de la région pour leur faire connaître les outils à leur disposition pour réagir efficacement en cas de signalement. Le numéro d’alerte a été affiché dans les lieux de rassemblement de toutes les Églises locales et la communication sur ce sujet a été accentuée. Transmettre l’information est capital. Le sujet a aussi été évoqué en pastorale régionale pour que les ministres soient bien informés.

 

Ces informations ont aussi fait l’objet d’un livret distribué aux pasteurs. Il mentionne clairement que les deux premiers réflexes à avoir en cas d’agression sont de parler et de porter plainte. En parler à la présidente de région ou à l’inspecteur ecclésiastique arrive en troisième position. Quel est leur rôle dans la démarche d’une victime ?

Leur premier rôle est d’écouter la personne. Nous ne l’écoutons pas seuls, car nous représentons une autorité, qui n’est jamais assumée de manière individuelle. Ensuite, on étudie le soutien que l’on peut apporter, on détermine comment orienter la personne pour lui venir en aide. Nous ne sommes ni psychologues ni magistrats, nous n’allons pas traiter l’affaire ni assurer une écoute professionnelle. Nous devons donc nous assurer que la personne va pouvoir être prise en charge comme il le faut. Nous avons aussi un rôle vis-à-vis de la personne incriminée : nous la contactons pour l’informer du témoignage qui la met en cause, pour l’écouter et l’orienter aussi. S’il s’agit de personnes en responsabilité, on rappelle les règles de notre fonctionnement. Pour l’instant, c’est l’angle de mort de notre Église : l’union nationale ne dispose pas encore d’un texte qui permette de démettre un président de CP de ses fonctions. La commission juridique nationale travaille là-dessus, elle a d’ailleurs pris en compte un vœu formulé lors de notre synode régional qui allait dans ce sens. S’il s’agit d’un pasteur, il est entendu en commission de discipline. Celle-ci peut éventuellement suggérer la radiation mais ne la prononce pas elle-même, elle transfère le dossier à la commission de conciliation et d’appel. En cas de radiation et s’il en fait la demande, le pasteur peut être accompagné dans une démarche de reconversion professionnelle.

 

La Fédération protestante de France met l’accent sur la formation. Que propose-t-elle concrètement ?

Elle dispense aujourd’hui plusieurs formations. J’ai moi-même suivi l’une des premières, une formation destinée aux cadres de l’Église. Elle visait avant tout une sensibilisation très forte aux violences et enseignait la marche à suivre lorsqu’on a connaissance de faits. Il existe aussi une formation pour les pasteurs, et nous devons la faire connaître pour qu’ils puissent s’y inscrire.

 

Au-delà des violences à caractère sexuel, les pasteurs, et pas seulement dans notre région, évoquent parfois des comportements agressifs des présidents de CP à leur égard. Comment pouvons-nous les prévenir ?

Il n’y a pas de solution miracle mais l’important est évidemment d’en parler, pas seulement à un proche, mais à notre Église. Pour que ces violences puissent s’arrêter, il faut que la structure institutionnelle connaisse ces agissements, il faut qu’une parole d’autorité dise que c’est inadmissible et demande aux personnes de revenir aux règles de fonctionnement de notre Église. Il n’y a pas de domination possible, ce n’est pas notre fonctionnement. On le voit par exemple lors des synodes : toutes les voix sont égales.

 

Les protestants se sont parfois montrés surpris que des violences sexuelles surviennent dans leur Église…

Il n’existe pas de raisons pour lesquelles nous aurions pu être exempts de ces comportements : c’est une réalité qui traverse tous les milieux de la société. J’y associe d’ailleurs les questions d’abus : abus d’autorité et abus spirituels. Ces questions nous touchent aussi. Car du fait de notre organisation, nous assumons des postures de responsabilité, donc de pouvoir, et ce pouvoir peut donner lieu à des déviances, des dérives vers des comportements malsains. À force de voir ces affaires révélées et publiées, il faut que les personnes en situation d’autorité soient conscientes de ces abus. Il faut aussi que les victimes soient plus écoutées, qu’on leur accorde plus de crédit et d’attention, pour qu’elles puissent reprendre confiance car la plupart du temps, de nombreux liens ont été brisés et il faut les reconstruire. Or, ça ne peut se faire sans qu’elles soient pleinement reconnues.

 

Dans le livret En Église contre les atteintes aux personnes, l’EPUdF rappelle les repères et conduites à tenir dans les situations de harcèlement, discrimination, abus de pouvoir ou violence :

Que faire si vous êtes victime, que vous soyez membre de l’Église ou pasteur ?

  • J’ose une parole à un proche ou à une personne de confiance.
  • Je porte plainte auprès de la justice.
  • Je prends contact avec la cellule indépendante mise en place par l’Église : 06 24 83 73 02 ou contact@stopalaviolence.fr
  • Et/ou je prends contact avec le ou la président(e) du conseil régional, l’inspecteur ecclésiastique, la secrétaire générale.

Que faire si vous êtes témoin d’un comportement inapproprié ?

  • Dans l’instant où cela a lieu, j’ose dire à la personne que ce n’est pas acceptable.
  • Dans l’après-coup, je dois aussi témoigner auprès des instances sollicitées.
  • Je manifeste ainsi que je suis solidaire de la personne qui a été abusée, discriminée ou harcelée.
  • Si la victime est mineure, je dois moi-même signaler les faits à la justice (pour contacter la police, composez le 17, Allô enfance maltraitée au 119, Violences faites aux femmes au 3919).

L’Église a le souci premier des victimes. Elle est également attentive à ne pas ostraciser une personne mise en cause. Toutes les parties prenantes ont besoin d’être accompagnées.

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