Jean de Sponde, basque, érudit et circonspect

De son nom basque Joanes Ezponda, ce poète, désormais inscrit au programme de français des classes de seconde, est marqué dès l’enfance par les conflits religieux du xvie siècle, mais aussi par un humanisme érudit dont il ne se départit jamais.

Jean de Sponde naît en 1557 à Mauléon-sur-Soule. Son bourg de naissance est catholique :
l’enfant doit quitter les lieux après la conversion de son père, Inigo, à la Réforme. Au collège de Béarn, il est mis au contact de la Réforme et de la culture classique par une équipe exclusivement composée de professeurs calvinistes. D’abord protégé par la reine de Navarre, puis par son fils , le Bourbon Henri III de Navarre, le jeune humaniste devient un érudit hors pair. Dès 1577, à l’âge de 20 ans, il entreprend une édition commentée d’Homère, publiée en 1583. En 1580, à l’université de Bâle, il suit les cours de Theodor Zwinger, un humaniste enseignant le grec, la morale, la médecine. Notre érudit suit alors l’enseignement de Théodore de Bèze.
Restant Navarrais de cœur, il reçoit d’Henri III de Navarre, en 1583, la charge de maître des requêtes, ce qui l’approche de l’action politique où il rend de nombreux services à la cause protestante et à son roi. Il se marie avec Anne Legrand, une Rochelaise, alliance qui lui vaudra d’être nommé lieutenant général de la sénéchaussée en 1590. Mais, vers 1591, le roi, pour se reconstituer une flotte de guerre, établit un droit de convoi perçu sur les ports. La ville de La Rochelle refusa cet impôt, qui menaçait sa liberté d’armement, et Sponde, officier du roi, dut quitter la ville.

Débuts littéraires
Sponde se lance en littérature en découvrant le protestant Antoine de La Roche-Chandieu et ses Octonaires de la vanité du monde. Ses premiers pas poétiques se placent sous l’empire de l’enseignement de Calvin, pour qui la poésie illustre et défend la foi : Sponde produit un Essay de quelques poèmes chrestiens (1588).
À cette date, la production poétique vibre des tensions du temps. Avec notamment du Bellay, Jodelle, Baïf, Pontus de Tyard, la bien catholique Pléiade va bon train. Ronsard y prend l’ascendant et affirme avec vigueur : « Je n’aime point ces mots qui finissent en os/Ces Gots, ces Austrogots, Visgots et Huguenots. » Face à ce bord si marqué, la lyre huguenote présente aux assauts qu’elle subit une phalange convaincue sinon impavide, la poésie étant alors la continuation de la guerre par d’autres moyens. Sur ce front des plumes, on trouve Guillaume de Salluste du Bartas et La Muse chrestienne (1574) ou La Sepmaine (1578), les Cantiques d’Étienne de Maisonfleur ou ceux de Valagre (1581), La Calliope chrestienne de Benoît Alizet (1593), les Poésies chrestiennes d’Odet de La Noue (1594), Le Mespris de la vie et consolation contre la mort (1594) de  Jean-Baptiste Chassignet. Agrippa d’Aubigné surplombe l’ensemble mais ne sera publié que plus tard.

Une abjuration de raison
En 1593, suivant l’exemple de son suzerain et maître en politique, Henri III de Navarre devenu Henri IV de France, Sponde se convertit au catholicisme. Plus que par dévouement aveugle à un chef admiré, la démarche du Mauléonais pourrait s’expliquer par des raisons plus politiques que psychologiques ou spirituelles : il parle d’ailleurs lui-même d’une « action pleine de raison ». Sponde se rattache au mouvement de ces acteurs exposés à un dilemme entre foi et réalité, ces « gens d’Estat » qui, Sully le premier, pétris du sens des responsabilités, voient que le protestantisme de leur chef Henri IV est devenu un obstacle majeur à la paix, tant en interne (les luttes religieuses) qu’en externe (l’alliance des ultra-Ligueurs avec une Espagne insatiable). Le socle de la paix à rebâtir repose sur l’abjuration.

Si la Réforme apportait à ces huguenots des réponses spirituellement pertinentes, elle restait durablement minoritaire et incapable de s’imposer à l’ensemble du royaume.

En réalité, depuis le Concordat de Bologne signé en 1516 entre le Vatican et un roi de France lié à une Église gallicane s’éloignant de Rome, la Réforme comme mise à distance de la papauté n’est plus nécessaire en France, contrairement à ce qui se passe dans le Saint-Empire romain germanique. Constatant cette puissante asymétrie entre deux confessions au cœur du royaume, Sponde semble rejoindre la cohorte des «moyenneurs », ces responsables modérés des deux bords qui, dans les années 1560/1570, s’opposaient aux « oultrés », ces ardents aussi convaincus qu’inaptes à toute conclusion politique.

 

Disgrâce et reconnaissance posthume

Il n’a pas dû être simple ni plaisant de discerner que la sortie de tant de guerres, civiles et externes, trentenaires et sans fin, pouvait conduire à modifier ses convictions religieuses, à l’image de ces « louvoyeurs » pointés par Sponde dans un Sonnet sur la mort, IX (cf. ci-dessous). Pacifier un royaume ravagé exposait à des revirements douloureux. Ainsi, Sponde avait publié, en 1589, un texte où il considère qu’« il ne luy est pas bien séant de changer de religion », mais, en 1593, il voudra motiver son abjuration dans la Déclaration des principaux motifs qui ont induict le Sieur de Sponde, conseiller et maistre des requestes du Roy, à s’unir à l’Église catholique apostolique et romaine, texte qui déclenche une polémique. Henri IV, qui souhaite le calme, le bat froid et, en sus de cette disgrâce de cour, Sponde doit faire face aux attaques de ses anciens coreligionnaires. D’Aubigné, si subtil en matière poétique et esthétique mais jamais en reste de polémique ni d’intransigeance politique, l’accable de ses sarcasmes en l’isolant des huguenots qui en oublient les quatre incarcérations qu’il a pourtant subies au service de la cause. Quant aux catholiques, ils ne retiennent qu’une vie de calviniste et, pour eux, « la caque sent toujours le hareng ».

Sponde se retire à Biscaye puis à Bordeaux, où il reprend ses travaux sur Homère. Une pleurésie le terrasse en 1595, un an après l’assassinat de son père par des Ligueurs. Rejeté des deux côtés, Sponde sombre dans un angle mort mémoriel, ses œuvres cessant d’être publiées dès 1618. C’est un professeur de lettres écossais, Alan Boase, qui l’en sortira au milieu du XXe siècle, rappelant que Jean de Sponde demeure, surtout, l’une des plus élégantes plumes de la littérature française.

Sonnet sur la mort IX

Qui sont, qui sont ceux-là, dont le cœur idolâtre
Se jette aux pieds du Monde, et flatte ses honneurs,
Et qui sont ces valets, et qui sont ces Seigneurs,
Et ces âmes d’Ébène, et ces faces d’Albâtre ?
Ces masques déguisés, dont la troupe folâtre
S’amuse à caresser je ne sais quels donneurs
De fumées de Cour, et ces entrepreneurs
De vaincre encor le Ciel qu’ils ne peuvent combattre ?
Qui sont ces louvoyeurs qui s’éloignent du Port ?
Hommagers à la Vie, et félons à la Mort,
Dont l’étoile est leur Bien, le Vent leur fantaisie ?
Je vogue en même mer, et craindrais de périr
Si ce n’est que je sais que cette même vie
N’est rien que le fanal qui me guide au mourir.

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