Violences dans la Bible : Le viol de Tamar par son frère Amnon

« Mais il ne voulut pas l’écouter ; comme il était plus fort qu’elle, il abusa d’elle ; ainsi il coucha avec elle. » 2 Samuel 13.14.

Thamar et Amnon, Herman van der Mijn (supposé), XVIIe siècle, Rijksmuseum, Amsterdam (Pays-Bas) / Wikimedia Commons

 

Que la tentation est grande de nous dire que la violence sexuelle est impossible dans notre protestantisme, grâce à notre fonctionnement et au nom des valeurs de tolérance, d’amour, d’attention au prochain que le Christ a enseignées ! Pourtant, bien évidemment, elle existe. L’Église n’échappe pas aux réalités de notre monde. Pour ceux qui seraient tentés de croire que nous sommes épargnés, les rapports de la Ciase (1) et de la Ciivise (2) viennent nous redire l’importance de prendre en compte la réalité systémique des abus commis, y compris en Église ! Être chrétien ne nous protège pas, bien au contraire. Il y a même certains facteurs aggravants, selon le constat des Églises évangéliques (3), comme par exemple la question de l’autorité, du déni des violences commises par nos membres, du silence imposé aux victimes… Or, cette réalité-là, on la trouve déjà présente dans la Bible. Ici, le viol de Tamar par son demi-frère Amnon n’est pas qu’un inceste, ce qui est pourtant en soi déjà terrible. C’est un ensemble d’abus et de violences que nous pouvons aussi retrouver dans l’Église. Je suis même tentée de dire que dans ce passage rien ne va, et qu’à part la victime, Tamar, tous ont une responsabilité dans cette tragédie.

 

 

La complicité

 

Lorsque Amnon fait part à son cousin Jonadab de son désir, de son obsession même pour Tamar, il y a là l’occasion d’agir en ramenant Amnon vers des voies plus raisonnables pour éviter tout dérapage. Or non seulement Jonadab ne va rien faire pour empêcher le drame, mais il va fournir à Amnon un scénario clé en main pour que le viol ait lieu, rendant l’impossible réalisable. Je note au passage que la seule chose qui retenait jusqu’alors Amnon de passer à l’acte, c’est que la virginité de Tamar l’empêchait d’avoir une occasion propice pour abuser d’elle et que Jonadab n’aura jamais à rendre compte de sa complicité.

 

La préméditation et l’abus d’autorité

 

Amnon, conformément au plan proposé par Jonadab, utilise le prétexte d’être malade et fait du roi David son complice, d’abord involontaire puis par non-dénonciation. Il piège ainsi Tamar en utilisant sa compassion fraternelle, mais surtout sa loyauté filiale à l’autorité royale de leur père David. Une fois informé, le roi David ne prendra pas soin de sa fille abusée. Il ne punira pas le fait d’avoir été utilisé et seule la mort ultérieure d’Amnon le contrariera (certains manuscrits précisant qu’il lui avait gardé sa préférence comme fils aîné même après ce crime). Quelle indulgence pour le coupable. Quelle indifférence pour la victime.

 

L’absence de consentement et d’écoute

 

Une fois piégée dans la chambre d’Amnon et alors que son frère ne laisse aucune ambiguïté sur ses intentions, Tamar a le courage de se refuser à lui. Il n’est toujours pas question de désir ni de consentement de la part de Tamar, mais elle offre à Amnon une possibilité de scénario différent, moins destructeur. Mais Amnon persiste. Il est et reste le grand coupable de ce récit.

 

L’abus physique et le viol

 

Amnon ne tient pas compte de Tamar et utilise la force pour violer sa sœur ; le texte biblique ne laisse pas de doute là-dessus. Sa force physique lui permet ici obtenir par la contrainte ce que rien n’autorise, ni le droit, ni la décence, ni le bon sens, ni une quelconque forme de piété. Le crime est sans excuse et, hélas, la violence sexuelle et les abus ne s’arrêtent pas là.

 

L’humiliation de la victime et sa déshumanisation

 

Le passage nous raconte qu’Amnon, après avoir violé Tamar, conçoit pour elle un dégoût aussi violent que son désir de possession qu’il appelait amour. Certains commentateurs ont tenté d’expliquer cette haine en imaginant qu’elle est le rappel visible de ce qu’il vient de commettre. Pour ma part, je constate simplement que Tamar reste ici encore et toujours un objet et non un sujet. Amnon continue son œuvre de destruction par la négation de l’humanité de sa sœur : il la fait mettre à la porte par son serviteur comme on chasse un animal gênant. La victime, Tamar, a alors la seule attitude possible qu’une jeune fille violée et bafouée puisse avoir à l’époque : elle prend publiquement le deuil d’elle-même, de celle qu’elle fut, de celle qu’elle aurait pu être.

 

L’invisibilisation et le musellement de la victime

 

Face à ce deuil impossible, son frère Absalom comprend la gravité des faits et réagit… en lui intimant le silence et en minimisant la violence subie. Informé, leur père, le roi David, sera agacé mais n’aura pas plus de réaction de soutien ou de compassion pour sa fille. Pas de restauration, pas de condamnation des faits ou du coupable, pas de justice pour elle. C’est simple : à partir de là, Tamar disparaît du récit, cloîtrée chez son frère Absalom.

 

L’engrenage de la violence

 

Le meurtre tardif d’Amnon n’est qu’une violence supplémentaire : c’est une vengeance d’Absalom qui ne libère en rien Tamar de ce qui lui est arrivé. C’est une histoire d’hommes, d’honneur et certainement pas de justice restaurative, ni de justice tout court.

 

Que faire ?

 

Remplaçons à présent la fraternité royale de notre texte par celle de frères et sœurs en Christ. Les éléments de ce récit peuvent tout à fait fonctionner aujourd’hui dans nos Églises, comme nous le montrent les affaires qui sont progressivement dénoncées. Tout y est réuni pour celles, parfois anciennes, qui émergent maintenant : la manipulation, le mensonge, le viol, la dissimulation, l’abus d’autorité, la minimisation des faits, l’injonction au silence pour les victimes, leur mise à l’écart, l’absence de réaction ou de soutien de la part des autorités spirituelles. En France, selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, une femme est victime de viol ou d’agression sexuelle toutes les sept minutes, un enfant toutes les trois minutes ! Alors que faire ? Sommes-nous impuissants ? Non, ne laissons pas les Tamar de notre temps seul·e·s dans leur situation car le silence est complicité. Pour chacun de nous, et particulièrement ceux et celles qui sont en responsabilité en Église, il s’agit d’informer, de prévenir, d’accompagner et d’agir en prenant en compte les victimes. Une brochure existe dans l’Église unie (4) .

 

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