Chanter, c’est prier deux fois, aurait dit Martin Luther. Ainsi, l’œuvre artistique du chrétien pourrait être une forme de prière, une création qui permet qu’elle ne se réduise pas à des mots, mais soit vécue avec tout notre être, en sollicitant nos cinq sens. Car c’est bien tout notre être qui est appelé à recevoir la Parole.
La prière peut aussi être à la source de la création. Que seraient un chant, un tableau, une pièce de théâtre au service de l’Évangile, si les créateurs n’étaient pas ancrés dans la prière, une prière nourrie de la vie communautaire, des Écritures, de l’Église universelle et à l’écoute du monde ?
Alors, pourquoi les Églises luthéro-réformées sont-elles si peu créatives au niveau musical, comparées à d’autres Églises ?
C’est d’autant plus étonnant quand on voit l’énorme production de textes liturgiques dans notre Église et leur riche utilisation au cours des cultes. Les luthéro-réformés d’aujourd’hui seraient-ils plus paroliers que compositeurs, prieurs que chanteurs ?

Au service de la société
Cela s’explique peut-être par le fait que la prière et le chant naissent à partir du réel. Chaque fois que l’Église, dans les périodes de Réforme, de Réveil, d’engagement social ou d’évangélisation, s’est tournée vers les milieux populaires ou vers les plus vulnérables, elle a cherché à prier, chanter, exprimer la foi dans des formes nouvelles. En revanche, chaque fois qu’elle s’est comportée en club, forte d’une identité historique ou familiale, elle a plutôt reproduit, réadapté et puisé dans son héritage.
La créativité liturgique et musicale et la création artistique en général sont donc liées à la capacité des chrétiens à se mettre à l’écoute et au service de la société, de ses langages, ses cultures, ses besoins… Les chrétiens ont créé des chants dans une période ou un contexte donnés : dans les luttes contre les discriminations aux USA, contre l’apartheid en Afrique du Sud, au sein de l’Armée du Salut, de la Croix bleue, de la Mission populaire… mais aussi auprès des personnes en situations de handicap, qui n’ont pas toujours la parole, mais utilisent d’autres formes de langage. Certains de ces chants sont ensuite adoptés durablement par les Églises locales.
Finalement, chanter un cantique, c’est continuer à faire vivre une œuvre, à la faire évoluer et à l’adapter en fonction de la culture et du contexte. L’œuvre devient collective. Comme la prière, elle n’appartient plus à son auteur, elle est reçue par un Autre.
Trouver son langage
Créer, c’est prier deux fois, trois fois, à l’infini ? Chaque prière personnelle ou collective, quelle que soit sa forme, n’est-elle pas une ébauche d’œuvre, une manière de participer à l’œuvre créatrice de Dieu ? Nous ne sommes pas tous artistes ni peintres ni compositeurs… Mais dans la prière, nous sommes tous et toutes invités à mettre en forme notre dialogue avec Dieu. Certain·e·s oseront trois mots dans le secret de leur cœur ou dans un groupe de prière, d’autres feront une décoration florale, d’autres encore peindront ou chanteront. À chacun·e de trouver le langage et le geste qui témoigneront de sa relation à Dieu, dans sa dimension personnelle et communautaire. À chacun·e de trouver la source et la forme de sa prière pour lui-même et avec les autres.
