Faut-il avoir peur de l’IA ?

Entre fascination et panique, notre rapport à l’intelligence artificielle révèle moins la puissance des machines que nos propres contradictions sociales. Ce n’est pas l’outil qu’il faut craindre, mais le système économique qui l’oriente.

Je suis technophile. C’est mon biais. J’ai toujours eu une certaine tendresse pour les innovations techniques : elles m’amusent, m’émerveillent, me donnent le sentiment d’assister à quelque chose d’historique. Et je fais partie de ceux que l’intelligence artificielle a réellement soulagés : elle m’a libéré d’une forme de honte. 

J’ai grandi avec des lacunes persistantes en orthographe et en grammaire, héritées d’un parcours scolaire compliqué. Dans un pays où la forme compte autant que le fond, écrire « mal » vous ferme des portes. C’est une forme discrète de disqualification sociale. ChatGPT ne m’enlève pas ma pensée ; il me permet de la formuler avec plus d’aisance. L’IA lisse certaines inégalités fondamentales d’accès au langage. Et quand on croit encore à l’importance que chaque parole citoyenne se sente légitime, ce n’est pas un détail.

Mais cette fascination n’exclut pas l’inquiétude. Au contraire, c’est précisément là que se noue la tension : entre admiration béate et crainte apocalyptique.

Je suis à la fois émerveillé et méfiant. Mais dans notre méfiance regardons-nous vraiment au bon endroit ?

 

Une panique de col blanc

 

Ce que nous vivons, c’est une panique de col blanc. Depuis plus de trente ans, le monde ouvrier et les métiers manuels subissent l’automatisation. Ils ont vu les chaînes s’allonger, les gestes disparaître, les machines prendre leur place. Et la société leur a répondu : « Adaptez-vous. » Aujourd’hui, le même vertige gagne les professions intellectuelles.

 

Les modèles de langage ont pris tout le monde de court : ils ont automatisé des compétences que l’on croyait protégées par la complexité du langage, de la créativité ou du jugement. On imaginait qu’on remplacerait les éboueurs avant les traducteurs, les livreurs avant les rédacteurs. Ce renversement bouscule notre hiérarchie implicite des métiers : c’est désormais l’intellectuel qui découvre la violence de cette dépossession.

 

 

Entre désinformation et vigilance

 

On dit souvent que l’IA menace la vérité. C’est à la fois vrai et trop simpliste. Oui, elle peut produire du faux, du plausible fluide, à grande échelle. Elle rend la désinformation plus rapide, plus crédible, plus rentable. Mais elle peut aussi devenir un outil de vigilance, de vérification, de contre-enquête : retrouver les sources, comparer les versions, repérer les manipulations.

Comme souvent, la technique amplifie le meilleur et le pire. Le problème n’est pas l’outil, mais le cadre dans lequel il s’inscrit.

 

 

Le vrai danger est-il vraiment la machine ?

 

Je n’ai pas peur de l’IA. J’ai peur du mode de production capitaliste qui la nourrit, l’oriente et la met à profit.

Quelques acteurs privés contrôlent désormais les modèles, les données et les infrastructures. C’est à eux qu’il faudrait faire confiance pour paramétrer, en toute impartialité, les outils qui aideront de plus en plus d’humains à se construire une opinion et à la formuler. J’ai comme un doute.

 

La critique de l’IA, souvent, sert d’écran commode : on s’inquiète des algorithmes pour éviter de parler du modèle économique qui s’en empare.

 

L’IA nous fait peur parce qu’elle amplifie ce que nous sommes déjà : nos forces, nos paresses, nos contradictions. Elle n’est pas un destin, mais un miroir.

La maturité, ici, c’est de ne pas confondre le pouvoir de l’outil avec le pouvoir de ceux qui l’orientent.

 

#Actualité #Question d'actu #Société #Technologies

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