Le Pape à Marseille : L’émotion, la réflexion et la ferveur populaire

Raymond Dodré, Marseillais de cœur, nous livre ses impressions sur la visite du Pape François, dernière et intense séquence des Rencontres méditerranéennes.

C’est pour clôturer les troisièmes Rencontres Méditerranéennes réunissant pendant huit jours soixante-dix jeunes issus des pays riverains de la Méditerranée, accompagnés par un nombre équivalent d’évêques venant des mêmes pays, que le pape a effectué un bref séjour à Marseille, un événement admirablement organisé par le cardinal archevêque Jean-Marc Aveline et qui a mobilisé avec enthousiasme toute la communauté catholique, les pouvoirs publics, les diverses autorités.

 

Invité au titre de membre fondateur et permanent de l’instance municipale qui rassemble depuis trente ans autour des maires successifs les responsables religieux appelée « Marseille-Espérance », j’ai pu assister à trois moments essentiels de cette visite peu banale, en compagnie de tous les responsables actuels, avec mon collègue Olivier Raoul-Duval pour le protestantisme marseillais.

 

J’avais pu m’adresser auparavant aux jeunes de ces Rencontres intitulées « Mosaïque-Espérance » pour leur dire notre but : rapprocher dans un esprit de dialogue respectueux les nombreuses communautés marseillaises, en distribuant notamment chaque année un calendrier interreligieux, en inspirant des rencontres fraternelles au plus près d’elles, en veillant à une bonne entente entre elles.

 

Ce qui m’a frappé dans ces trois moments est la fragilité physique du pape qui tient à grand peine debout et ne peut plus se déplacer qu’en fauteuil roulant. Mais de ce corps épuisé sort une parole d’une force, d’une intensité inouïes, des mots à la fois simples et percutants qui émeuvent, bouleversent, dénoncent les égoïsmes nationaux et appellent à plus de fraternité entre les humains.

 

La foi, l’espérance et l’amour symbolisés par la croix de Camargue,
devant Notre Dame de la Garde,
bien présents lors du moment de recueillement dédié aux migrants disparus en mer
(© Wikimedia Commons-Arnaud25)

 

 

 

Disparus en mer

 

C’est la raison pour laquelle le moment le plus émouvant avec le pape fut certainement le recueillement en souvenir des migrants disparus en mer, devant la croix de Camargue érigée sur un des parvis de Notre Dame de la Garde – le pape, l’archevêque, le maire se tenant sur une tribune avec les membres de Marseille Espérance devant une nombreuse assistance, au premier rang de laquelle étaient rassemblés des membres des associations de secours en mer. On connaît l’engagement constant de François pour défendre avec acharnement le sauvetage en mer et l’accueil bienveillant des migrants sur nos côtes européennes. C’est pour lui une obsession qui le poursuit et qu’il veut faire partager pour réveiller les consciences et appeler nos pays à plus d’ humanité.

 

Commencée par la lecture par un jeune migrant du voyage de Paul en route sur la Méditerranée pour être jugé à Rome, rapporté par les Actes des apôtres, le recueillement s’est poursuivi par un bref discours du pape critiquant « le virus de l’extrémisme » et « la dictature de l’indifférence » pour les naufrages et les noyés. Une prière à plusieurs voix fut dite pour tous ceux qui fuient la guerre, la misère, les persécutions politiques et  religieuses, pour leur accueil, et s’est conclu par le dépôt d’une gerbe devant la croix.

 

 

Trois mots

 

Le deuxième événement majeur fut le discours du pape dans l’auditorium comble du palais du Pharo en présence du président de la République, des responsables politiques, d’une grande partie de l’épiscopat français, des évêques du monde méditerranéen et des jeunes ayant participé aux Rencontres. Trois mots symbolisant Marseille furent déclinés successivement : la mer, le port, le phare.

 

En préambule, le pape rappelle le caractère composite et cosmopolite de la ville dès son origine, donnant une patrie à ceux qui n’en ont plus. Elle dit que la convivialité est possible. Elle est « le sourire de la Méditerranée », une mosaïque d’espérance.

 

Cette mer fut un espace de rencontres entre les religions abrahamiques, entre les pensées grecque, latine et arabe, entre la science, la philosophie, le Droit. Puis François fait un rapprochement entre elle et la mer de Galilée, autour de laquelle ont coexisté des peuples, des cultes, des traditions, lieu du message des Béatitudes de Jésus. Il appelle à élargir les frontières du cœur en dépassant les barrières ethniques et culturelles, à établir une convivialité des différences. La mer, miroir du monde, a diffusé « la haute valeur de l’être humain, doté de liberté, ouvert à la vérité, et en mal de salut, qui voit le monde comme une merveille à découvrir et un jardin à habiter, sous le signe d’un Dieu  qui fait alliance avec les hommes ». Elle a une vocation mondiale à la fraternité et à devenir un « laboratoire de paix ». En Galilée, une espérance a été apportée aux pauvres. Aujourd’hui, ici, sur nos rives, on doit accueillir, intégrer, apporter de la dignité. Les migrants n’envahissent pas, ils cherchent l’hospitalité. Marseille est une capitale de l’intégration des peuples. Dire oui à la solidarité, ce n’est pas une « goutte d’eau dans la mer, mais l’élément indispensable pour en purifier les eaux. » Le cri de douleur des migrants transforme la Méditerranée, berceau de la civilisation, en tombeau de la dignité.

 

 

Avec son port, Marseille est une porte grande ouverte sur la mer, la France et l’Europe. Elle ne peut être fermée. La « Mare Nostrum » crie justice alors que règnent d’un côté l’opulence, le consumérisme et le gaspillage, de l’autre, pauvreté et précarité. Rapprochant la famille de Nazareth des réfugiés actuels fuyant persécutions, guerres et misère, le pape nous dit que les migrants doivent être accueillis, protégés, promus, intégrés, non pas assimilés, ce qui leur ferait perdre leur identité. Il reconnaît que cette intégration est difficile, mais elle prépare l’avenir qui se fera ensemble ou ne sera pas. Il appelle à un sursaut de la conscience pour prévenir le naufrage de la civilisation.

 

Marseille est aussi une porte de la foi, faisant allusion à l’évangélisation de nos contrées. Un port de ravitaillement aussi. Il demande que l’Église ne soit pas considérée comme délivrant des prescriptions mais comme un port d’espérance pour les personnes découragées. « Que l’Église ne soit pas une douane » !

 

 

Le phare illumine la mer et fait voir le port. S’adressant plus spécialement aux jeunes des Rencontres, il leur demande d’être une lumière qui indique la route de l’avenir. Les universités sont des lieux propices pour tisser des liens entre les cultures, combattre les préjugés. Le pape pense à une théologie méditerranéenne, ouvrant un chemin œcuménique et un dialogue entre les différentes religions et il encourage les évêques à créer une conférence régionale méditerranéenne.

 

S’adressant à tout l’auditoire, il termine par ces mots : « Soyez une mer de bien, un port accueillant, un phare de paix. »

 

 

Tressaillements

 

De la messe au stade-vélodrome, je retiendrai la ferveur et l’enthousiasme manifestés par les fidèles remplissant pelouse et gradins, et de l’homélie du pape un mot qui a frappé les esprits, celui de « tressaillement », emprunté à l’épisode biblique de la visite de Marie à Élisabeth, l’enfant qu’elle porte ayant « tressailli en son sein » lorsqu’elle a entendu la salutation de Marie. Il nous faut être sensible aux tressaillements de la vie, partout où elle est. Tressaillement devant ceux qui viennent d’autres rives de la Méditerranée, tressaillements devant les plus vulnérables de notre société, souci des enfants, des personnes âgées, des exclus, des plus faibles, souci d’humanité. À l’inverse, exclure indifférence, peur, repli, mortels pour la société.

 

En résumé, à Notre-Dame de la Garde, l’émotion, au Pharo, la réflexion, au stade, la ferveur populaire, avec comme boussole pour le pape pendant son séjour marseillais l’appel à construire malgré toutes les difficultés une véritable fraternité entre les rives de la Méditerranée et au-delà.

 

 

 

 

 

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