Les pratiques de la table

C’est une évidence, on n’a pas toujours mangé comme on mange aujourd’hui. Ce texte rappelle quelques évolutions significatives, même s’il concerne un « on » qui n’est pas universel.

Mange-t-on toujours assis à table à l’aide d’un couteau et d’une fourchette ?

 

Évidemment non ! Il existe bien des manières de prendre les repas.

 

Dans le monde romain, on se couche à table pour manger à demi allongé sur un triclinium qui accueille trois convives. Dans d’autres lieux, d’autres temps ou d’autres occasions, on mange « sur ses genoux », debout, accroupi·e en se servant dans un plat à même le sol ou agenouillé·e devant une table basse.

 

On peut manger avec des couverts, des baguettes ou simplement avec ses doigts. En Occident, on utilise longtemps le seul couteau pour découper les aliments et les porter à la bouche. La Venise byzantine ajoute la fourchette dès le 11siècle. L’assiette arrive en France avec François 1er ; elle finit par remplacer les écuelles en bois et les « tranchoirs » de pain sec que l’on peut consommer à la fin du repas. Tous les ustensiles, les couteaux comme les tranchoirs et même les serviettes de table sont longtemps partagés par plusieurs convives.

 

(© Denis Marchand)

 

 

 

Depuis quand choisit-on ce que l’on mange ?

 

On a l’habitude de manger les mets successivement et dans l’ordre imposé par qui prévoit, prépare et sert le repas ; mais dans d’autres époques, sous d’autres latitudes ou dans certaines occasions, on pose tous les plats sur la table, laissant aux convives la liberté et la responsabilité de choisir que manger et l’ordre dans lequel le faire. En fait, ce n’est qu’au début du 19e siècle que la France découvre chez l’ambassadeur de Russie l’usage de servir les plats les uns après les autres ; ce service à la russe permet que les convives mangent chauds les plats chauds et froids les plats froids.

 

Dans la restauration collective, plus rarement à la maison, on sert les mets sur une assiette individuelle plutôt que dans un plat commun ; certes, on limite encore la liberté des convives, mais on pacifie les relations autour de la table en imposant la répartition des aliments.

 

Pourquoi se demande-t-on : « Qu’est-ce qu’on mange ? » ?

 

Dans de trop nombreux temps, de trop nombreux pays et de trop nombreux foyers, la question « qu’est-ce qu’on mange ? » ne porte pas sur le menu, mais sur l’existence même d’un repas.

 

Mais on a parfois, voire souvent l’embarras du choix. L’amélioration des moyens de transport, les innovations dans l’agriculture et les techniques de conservation élargissent et mondialisent l’offre alimentaire. Refroidissement, fermentation, fumage, séchage et salaison ont toujours permis de conserver et de transporter des nourritures. Mais en 1810, le cuisinier, confiseur et inventeur français Nicolas Appert lance une révolution durable quand il découvre que chauffer des aliments dans un contenant hermétique augmente leur durée de vie. Le 20e siècle fournit encore de nouvelles possibilités, notamment par la mécanisation de la production de froid. Aujourd’hui, on peut manger de tout, partout, et tout le temps, mais au détriment de notre écosystème.

 

Jusqu’à quand mangera-t-on assis, ensemble, successivement et avec des couverts ?

 

Dans quelle direction les pratiques autour des repas sont-elles en train d’évoluer ? Je repère quatre tendances sans les juger ni en bien ni en mal.

 

– On mange de plus en plus debout et en marchant ; corollaire, on achète des mets tout prêts que l’on mange avec ses doigts ;

 

– Quand les rythmes de vie sont de moins en moins synchronisés, manger en famille devient de plus en plus rare ; on mange seul·e, on mange si on en a envie et quand on en a envie ; on mange aussi ensemble, mais dans d’autres commensalités, scolaires, amicales ou professionnelles ;

 

– Quand on mange ensemble, on mange des plats différents, chacun·e selon ses envies ; le micro-ondes avait offert la possibilité de réchauffer son propre plat, la livraison à domicile permet de choisir des menus totalement individualisés ;

 

– La salle et la table à manger deviennent inutiles et tendent à disparaître ; parfois symboliquement – elles existent, mais elles reçoivent une autre fonction – parfois réellement quand les « pièces à vivre » remplacent les « salons-salle à manger », quand les canapés, les fauteuils et la table basse remplacent les chaises et la table à manger.

 

 

 

 

 

#Actualité #Culture #Dossiers #Repas #Voix protestantes

Nos titres

Échanges
Ensemble
Le Cep
Le nouveau messager
N°446 - juin 2020
Le Protestant de l'Ouest
Le Ralliement
Liens protestants
Paroles protestantes Est-Montbéliard
Paroles protestantes Paris
Réveil

Pour aller plus loin

Familles recomposées : Noël, entre rires et larmes
Réinventer Noël
Familles recomposées : Noël, entre rires et larmes
Pour de nombreux parents et enfants vivant dans des familles séparées et/ou recomposées, Noël reste une période éprouvante où faire plaisir à tous relève d’une logistique complexe.
Être à la fête… ou pas : Noël des injonctions
Réinventer Noël
Être à la fête… ou pas : Noël des injonctions
Chaque fin d’année, la même litanie revient : « Fêtez Noël », « Faites plaisir », « Soyez ensemble ». Messages publicitaires et discours familiaux font de cette date un sommet de joie obligatoire. Pour beaucoup, ce scénario est irréel : la joie, devenue devoir, se change en fardeau ; la fête, en examen de conformité.
Noël, le temps de l’attention
Réinventer Noël
Noël, le temps de l’attention
Pour certains, ces traditions sont des indétrônables de la fin d’année, pour d’autres, ces sacro-saints rituels sont dépassés. Et de fait, avec l’évolution de la société, les recompositions familiales, il faut souvent réinventer cette période de fête.
Seul à Noël
Réinventer Noël
Seul à Noël
En France, près de 15 % de nos compatriotes passent Noël seuls. Qu’elle soit volontaire ou contrainte, cette solitude reste un tabou dans notre société.
Vivre Noël avec une famille en crise ?
Réinventer Noël
Vivre Noël avec une famille en crise ?
Ils sont trois, nés de l’union de leurs parents, tous deux enseignants. Leur enfance s’est déroulée dans un cadre empreint de tendresse et de stabilité, où Noël représentait bien plus qu’une simple fête : c’était un rituel sacré, un moment de chaleur et de rires partagés.
Face aux excès, des pistes pour vivre Noël autrement
Société
Face aux excès, des pistes pour vivre Noël autrement
Nous sommes nombreux à regretter que Noël soit trop souvent synonyme d’excès en matière de nourriture, de cadeaux et même de relations sociales… Alors, que pouvons-nous faire pour vivre Noël autrement, de manière plus écologique ?
Violence dans l’église : Nommer, comprendre, éclairer, un état des lieux nécessaire
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Violence dans l’église : Nommer, comprendre, éclairer, un état des lieux nécessaire
Depuis quelques années, plusieurs affaires douloureuses ont secoué le protestantisme français et mis en lumière la difficulté de nos Églises à affronter la réalité des violences sexuelles et sexistes. Dans la continuité des rapports qui ont marqué la société et nos propres institutions, il est devenu indispensable de poser un regard lucide et pédagogique.
Écouter et réparer : La commission reconnaissance et réparation
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Écouter et réparer : La commission reconnaissance et réparation
La Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) a été fondée en novembre 2021 à l’initiative de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) de l’Église catholique. Son rôle est de reconnaître, en toute indépendance, les violences sexuelles commises par des religieux et de proposer des formes de réparation pour les victimes. Elle est présidée par Antoine Garapon, magistrat honoraire et ancien juge des enfants.
Édith Tartar-Goddet : Prévenir les abus, un travail de fond pour l’Église
Violences sexuelles et sexistes : où en sont les protestants ?
Édith Tartar-Goddet : Prévenir les abus, un travail de fond pour l’Église
Édith Tartar-Goddet a publié en 2020 un ouvrage sur la toute-puissance humaine et les abus de pouvoir dans les Églises. Elle attire l’attention sur la banalisation de certaines violences. Pour les victimes, c’est alors la double peine : à la souffrance succèdent l’indifférence et l’isolement.