Ce sont des chiffres qui glacent le sang. Même s’ils avaient beaucoup baissé de 2018 à 2019 et qu’on ne peut donc pas parler d’une soudaine explosion de violences antichrétiennes, la permanence de l’intolérable le rend-il plus acceptable et peut-on se faire à ce que chacune des journées de 2020 ait vu 13 chrétiens assassinés parce que chrétiens ? La réponse est deux fois « non ! ».
Comprendre les causes
Au-delà de l’indignation, la première chose à voir est que les meurtres ne sont que l’aspect le plus révoltant de persécutions et discriminations d’une tout autre ampleur. Beaucoup de chrétiens ne peuvent accéder à des fonctions politiques ou même administratives dans leur pays. Bien que la loi ne le dise pas, ils sont citoyens de seconde zone et le simple jeu des réglementations et des non-dits sociaux peut également leur fermer des emplois, les pousser à l’émigration, leur interdire d’épouser une personne d’une autre foi ou les empêcher de pratiquer leur religion en fermant ou détruisant leurs lieux de culte.
C’est de bien des manières et à de très différents degrés que les chrétiens ou certains chrétiens sont persécutés ou discriminés dans une moitié des pays du monde, mais prenons maintenant la liste des 50 États où leur vie est la plus périlleuse ou, en tout cas, difficile.
Le premier d’entre eux est la Corée du Nord, ubuesque dictature dont les commandes se passent de père en fils au sein d’une dynastie dont les incarnations successives ont droit à une quasi-déification. Cette religion politique ne supporte pas de concurrence. Ses dieux sont jaloux. Toute autre foi que celle due au régime et à sa dynastie régnante est ainsi considérée comme un ennemi à abattre, le christianisme au premier chef, car il est présent dans les deux Corée et vu comme occidental, cinquième colonne de l’ennemi américain et instrument d’espionnage des services de renseignements sud-coréens.
Être chrétien suffit, en Corée du Nord, à se retrouver en camp de travail. En termes de logique interne, rien de surprenant, mais la Russie ? Cette Russie dont l’orthodoxie avait survécu aux sept décennies communistes et demeure si présente et influente que M. Poutine a choisi de la protéger et la valoriser pour mieux s’appuyer sur elle dans une réinvention du sabre et du goupillon, comment peut-on la retrouver sur cette liste des 50 pays de la honte – à la quarante-sixième place, mais tout de même ?

La Corée du Nord, ubuesque dictature où la dynastie a droit à une quasi-déification
(© Steve Barker)
Christianisme occidental
La raison en est que l’orthodoxie russe s’est toujours vécue comme le bras spirituel du pouvoir et un ciment de la nation. Les plus sévères de ses contempteurs voient en elle une agence du régime en place, comme le sont l’armée, la police et les services de sécurité. C’est une assimilation excessive, car bien des orthodoxes, prêtres compris, sont des opposants à M. Poutine, mais le fait est que le patriarcat de Moscou et le Kremlin partagent une même aversion des autres branches du christianisme – concurrentes inquiétantes et malvenues pour le premier et susceptibles, pour le second, d’agir en agents des puissances occidentales. Depuis la fin du communisme, il n’y a plus aucun problème à être orthodoxe en Russie. À bien des égards, c’est même devenu un atout politique et social, mais c’est en revanche à ses risques et périls qu’un ressortissant russe est ouvertement catholique ou protestant, car beaucoup de portes se ferment alors à lui, hermétiquement et dangereusement.
Entre la Corée du Nord et la Russie, il y a toute la différence entre un pouvoir arbitraire et l’enfer sur terre. Pour tout un chacun, il vaut mille fois mieux vivre à Moscou qu’à Pyongyang, mais, dans ces deux pays, l’on retrouve pourtant l’une des grandes causes des persécutions et discriminations antichrétiennes. Catholique ou protestant, mais également orthodoxe dans les pays qui ne sont pas essentiellement chrétiens, le christianisme est perçu comme la religion de l’Occident, comme celle qui avait, de tout temps, accompagné ses conquêtes ou l’extension de son influence économique et culturelle, et cela des croisades à la colonisation.
Un parfum de colonies
Cette vision date, bien évidemment, puisqu’il y a longtemps que le christianisme est devenu aussi asiatique ou africain qu’il était, plus tôt, devenu gaulois ou scandinave. Les communautés chrétiennes rayonnaient, qui plus est, au Proche-Orient comme en Afrique du Nord bien avant la naissance de l’islam et les conquêtes arabes. Enfant d’un Juif et du Levant, le christianisme ne se réduit à l’Occident que par ignorance ou extrême simplification, mais le fait est que les chrétiens restent vus, et notamment en terres d’islam, comme des agents étrangers au service de l’Occident.
C’est beaucoup moins en raison de leur foi elle-même qu’en raison de cette identité religieuse et culturelle partagée avec des croisés puis des colonisateurs, tous venus d’Europe, que les chrétiens sont aujourd’hui marginalisés par le Maghreb ou, bien pire, persécutés et chassés de chez eux par le Machre. Mais ce n’est pas tout.
Le retour des identités
À cette revanche historique qui prive tant de pays musulmans de cette diversité dont l’Empire ottoman avait su faire un avantage jusqu’à la fin du XIXe, s’ajoute maintenant le grand retour des identités et différences culturelles. Revendiquées, promues et exaltées par la renaissance des nationalismes, elles tendent à opposer les civilisations depuis que la fin du communisme a mis un terme à la division du monde en deux blocs idéologiques.
Ce n’est pas le choc des civilisations, pas encore en tout cas, mais c’est à coup sûr leur réaffirmation dans une soif de pureté dont la coexistence des cultures est la grande victime. L’exemple indien est à cet égard frappant puisque le Premier ministre Narendra Modi et son parti hindouiste ne s’en prennent plus seulement aux musulmans, mais également aux chrétiens dont l’insécurité ne cesse de grandir. Sous M. Modi, l’Inde doit être hindoue et rien d’autre, tout comme le Pakistan traite ses chrétiens en suspects permanents, car, face à l’Inde, son identité s’était forgée dans l’islam.
Une revanche sociale
La quête de l’identité cultuelle et culturelle a si bien remplacé l’affrontement des religions terrestres, libérale ou communiste, que beaucoup des États africains où coexistaient musulmans et chrétiens plongent désormais dans des guerres de religion souvent nourries par un désir de revanche sociale contre les chrétiens.
C’est par la terreur, le fer et le sang que les mouvements islamistes du Levant et d’Afrique subsaharienne s’en prennent aux chrétiens et à ceux des musulmans, leur très grande majorité, qui refusent l’horreur des guerres de religion. C’est ainsi qu’il n’y a virtuellement plus de chrétiens en Irak et que leur nombre fond même au Liban. Les Ténèbres prennent leur revanche sur les Lumières et les premières victimes en sont chrétiennes.
