Les premières colonies de vacances apparaissent en Suisse dans les années 1870, à l’initiative du pasteur Hermann Walter Bion. Issu d’une famille protestante française qui a fui la France après la révocation de l’édit de Nantes, Bion débute ses activités en faveur de l’aide sociale dans la paroisse de Rehetobel où il fonde sa première œuvre caritative. Il devient ensuite prédicateur dans la plus pauvre des paroisses de Zurich. Selon ses propres mots, lui qui avait toujours caressé l’espoir d’étudier la médecine s’est ainsi retrouvé « au chevet de l’humanité la plus démunie et la plus souffrante ». En 1876, il crée ce qui restera dans l’histoire comme la première colonie de vacances : il emmène 68 enfants, encadrés par une dizaine d’enseignants, dans les montagnes voisines pendant trois semaines. Dispersés chez les paysans, ils se rassemblent plusieurs fois par semaine pour jouer, chanter et partir en randonnée. Cette initiative sera relayée en France par des pasteurs comme Théodore Lorriaux, qui fonde l’Œuvre des trois semaines et permet à 72 filles de séjourner à la campagne chez des paysans en 1882, ou comme Louis Comte, socialiste et proche des classes ouvrières et paysannes, qui crée en 1892 l’œuvre des enfants à la montagne en faveur des enfants d’ouvriers du bassin minier de la région de Saint-Étienne. Il place chaque été plus de 2 000 enfants dans des centaines de fermes du plateau du Vivarais-Lignon.
Dans la France du début des années 1880, les républicains de la IIIe République sont en train de doter la France d’une école gratuite, laïque et obligatoire avec les lois Jules Ferry. Leur but est double : desserrer l’emprise de l’Église sur la jeunesse française pour la faire adhérer aux idées républicaines, à l’encontre de la droite monarchiste, et former des citoyens capables de faire prospérer et de protéger la patrie, de toutes origines et de toutes conditions, sur les mêmes bancs d’école. La défaite de 1870 contre la Prusse est dans toutes les têtes : il faut préparer la revanche. Les Républicains emboîtent donc très rapidement le pas des protestants pour expérimenter ce qui deviendra des colonies de vacances. Dès la décennie 1880 se développent des initiatives issues à la fois d’œuvres de charité protestantes et de l’école républicaine.

Un enjeu politique, sanitaire et éducatif
L’objectif initial commun est d’ordre sanitaire : il s’agit d’arracher les enfants pauvres et en mauvaise santé à leur milieu urbain pour les envoyer le temps de quelques semaines estivales au grand air pur de la campagne, de la montagne ou de la mer. Car en cette fin de xixe siècle, l’enfance des quartiers défavorisés paie un lourd tribut au développement des activités industrielles. Dans les banlieues ouvrières, elle évolue dans un environnement insalubre et nombre de maladies sévissent, comme la tuberculose et le rachitisme. À cette vision strictement hygiéniste s’ajoutait dès le début du xxe siècle une dimension éducative. Alors qu’en Suisse le pasteur Bion dispersait les enfants chez les paysans, Edmond Cottinet propose une vision différente : regrouper les enfants dans des centres collectifs gérés par un personnel spécialisé. Son but était de développer ce qui allait rester l’objectif fondamental des colonies : l’apprentissage du vivre-ensemble et de l’autonomie. Sans être formulée ainsi à l’époque, l’ambition était de créer une fraternité idéale le temps du séjour pour la diffuser ensuite dans le reste de la société. Cet aspect a été particulièrement important après les deux guerres mondiales, quand il fut nécessaire de resserrer les liens entre les citoyens pour ressouder la société meurtrie.
Cette institution qu’est rapidement devenue la colonie de vacances émane directement de la société civile. Elle est le fait de paroisses, d’associations d’instituteurs laïques, de municipalités, de comités d’entreprise. Elle sera utilisée par tous ces acteurs comme un instrument pour diffuser auprès de la jeunesse française les idéaux et idéologies en cours. Depuis leur création jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les colonies de vacances formeront ainsi une myriade de cellules très politisées. Protestants, catholiques, juifs, socialistes, communistes et même nationalistes rivaliseront pour attirer les enfants dans leurs colonies en stimulant un imaginaire d’aventure, parfois inspiré du scoutisme.
