Pierre-Olivier Dolino © Dominique Gourat
Tout d’abord, quelques mots pour présenter la Fédération de l’Entraide protestante…
La FEP recouvre 370 associations, 1 000 établissements, 32 000 salariés, 19 000 bénévoles. Un peu plus d’un million de personnes sont accueillies chaque année, sur des champs très variés : accueil de l’étranger, enfance-jeunesse, santé, handicap, grand âge et précarité. Et cela va d’associations de type entraide paroissiale, avec quelques bénévoles (celles qui ont souhaité adhérer), à de gros groupes, régionaux ou nationaux, qui emploient plusieurs milliers de salariés. Le plus gros adhérent, le Diaconat de Mulhouse, compte 3 700 salariés. Après, il y a des réseaux nationaux, comme l’Armée du Salut, les Diaconesses de Reuilly, John-Bost, la Cimade… Et des associations plus régionales ou plus locales, comme les Diaconats de Bordeaux et de Valence, ou l’Abej- Solidarité de Lille. Et puis des hôpitaux, des cliniques, des soins infirmiers, des structures d’hébergement d’urgence ou d’accueil de demandeurs d’asile, des maisons d’accueil-soins dans le domaine du handicap, etc.
Ces œuvres plus ou moins anciennes, créées dans divers milieux d’Église, manifestent-elles différentes sensibilités protestantes ?
La FEP a vocation à rassembler l’action sociale des différentes Églises protestantes, notamment celles de la Fédération protestante de France, mais même au-delà (CNEF ou autres). Historiquement, la FEP a été très liée à l’Église réformée, mais on a aussi tout le réseau des œuvres des Églises baptistes, mennonites, adventistes, Armée du Salut, etc. – et cela signifie des sensibilités différentes dans l’approche.
Ressentez-vous un besoin de repères spirituels venant des associations, sur le terrain ?
Oui, c’est un besoin qui ressort fortement. Les gens sont en recherche de sens, de souffle dans leur action… et ils replongent dans le protestantisme et dans l’Évangile pour chercher cela. Selon moi, c’est le verre à moitié vide ou à moitié plein ! Car ces associations se sont sécularisées – je ne dis pas laïcisées, parce qu’elles ont toujours eu un fonctionnement laïc et elles veulent le garder. Mais la laïcité qu’on vit dans les associations, ce n’est pas de la neutralité, c’est une laïcité qui peut trouver, dans le protestantisme et dans l’Évangile, une source pour porter les projets. Certaines se sont donc éloignées des Églises ou du protestantisme, parfois dans des conflits, parfois par frilosité, justement, sur la question de la laïcité. Dans les années 1970-2000, la question sociale et politique étant prégnante, on pensait que le fondement chrétien allait de soi et on était dans un témoignage implicite. On n’a pas nourri cet ancrage-là et on découvre aujourd’hui qu’on en a besoin. Entre-temps, on a eu des crises, de nouvelles formes de pauvreté, des tensions au sein du monde associatif, des difficultés de financement, l’évolution du management des équipes salariées ou bénévoles… Nous pensons que le protestantisme, ce n’est pas simplement une origine, ou parfois un bagage un peu lourd à porter, mais au contraire une vision qui permet de nourrir le sens de l’action. Et c’est vrai pour toutes les associations, quelle que soit leur taille. Ces questions constituent un des axes d’orientation forts de 2019. Un poste salarié spécifique a été créé, qui irrigue de façon transversale l’ensemble de nos champs d’action : Élisabeth Walbaum, déléguée à la réflexion et l’animation spirituelle, développe des outils à destination des associations. Par exemple, la formation à une laïcité bien comprise ou la publication hebdomadaire de La Boussole qui, depuis le confinement, veut aider les personnes engagées à se ressourcer et ne pas s’épuiser à la tâche.
Avec un personnel laïc, parfois non croyant ou venant d’autres traditions religieuses, comment travaille-t-on sur cette dimension ?
La loi de 2002 dit que l’accueil du public, c’est aussi la prise en compte de la dimension spirituelle. Alors, il y a toujours un hiatus entre dimension spirituelle et dimension religieuse ! Mais donner la possibilité aux personnes qui le souhaitent de pratiquer leur culte, d’y être accompagnées, fait partie des missions que les institutions et leurs salariés doivent remplir. Certains ont des aumôniers. Il y a aussi des animateurs spirituels pour prendre en compte les différentes formes de spiritualité – parce que certains aujourd’hui expriment une soif spirituelle qui n’entre pas forcément dans un cadre religieux. Il faut pouvoir aborder les grandes questions existentielles. À la Mission populaire, par exemple, on a développé une formation à l’animation spirituelle pour les centres sociaux, les maisons de quartier… Concernant les salariés, les uns ont une soif, une envie d’accompagner, d’autres le font parce que cela fait partie de leur mission. Nous avons travaillé sur un guide pratique qui va bientôt sortir, pour la prise en compte de la diversité religieuse à partir, notamment, de l’accueil de personnes musulmanes dans les institutions protestantes.
Pour aborder ces questions, est-ce que les différentes sensibilités protestantes présentes dans la FEP trouvent un socle commun ?
Oui, je pense que c’est presque même plus facile de vivre l’œcuménisme intra-protestant dans l’action, car on se focalise moins sur des débats théologiques clivants. En revanche, il y a des préjugés qu’il faut traverser. D’ailleurs, on a souvent l’image d’un monde évangélique très confessant, et c’est parfois vrai, mais je vois que beaucoup d’œuvres évangéliques ont mis pendant un temps une frontière très étanche entre la dimension cultuelle et la dimension sociale, s’interdisant d’évangéliser. Et inversement, le monde réformé, si pudique sur sa foi, développe aujourd’hui d’autres formes de témoignage, soucieux de travailler le qualitatif de son action – par exemple, lors de distributions alimentaires, un accueil qui permet de prendre du temps pour discuter et proposer un accompagnement, social, psychologique… et spirituel.
Mais tout cela se vit de façon très variable. Certaines associations comptent des bénévoles très proches de leur Église, d’autres ont des aumôniers ou des animateurs spirituels formés. Certains d’entre eux vont passer le DU « aumônerie » à Strasbourg. Et puis d’autres encore ont des congrégations, comme les Diaconesses de Reuilly ou de Strasbourg, l’Armée du Salut, et cette présence religieuse irrigue leur action. Chez les Diaconesses, il est proposé à tous les cadres de venir passer quelques jours avec la communauté, pour mieux comprendre ce qu’est le protestantisme.
Les œuvres catholiques vivent-elles le même mouvement ?
L’Alliance, un regroupement de plusieurs associations catholiques et protestantes dans le domaine de la protection de l’enfance, travaille cette question de la dimension spirituelle. Autour des Ehpad catholiques émergent des réflexions sur la « transmission des charismes ». Avec une différence : il n’existe pas de fédération nationale des œuvres catholiques à côté de l’Église. Alors que dans le protestantisme, dans un contexte d’Églises plurielles, Églises et œuvres se sont rassemblées dans des fédérations. On observe de nombreuses expériences similaires et il est intéressant de constater que la dimension spirituelle est aussi, très clairement, un sujet pour les associations catholiques.
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