Le déferlement technologique que Jacques Ellul prévoyait alors qu’il n’en était qu’à ses balbutiements, s’est en effet largement amplifié depuis un demi-siècle. Or, le reflux de la pratique de la prière est à mettre en lien, selon notre auteur, avec ce véritable rouleau compresseur qui aspire nos existences dans une accélération permanente. Comment prier lorsque le travail occupe une telle place dans nos vies, lorsque les nouvelles technologies s’imposent jusque dans nos espaces privés, lorsque le bruit est incessant – ce qui évacue toute occasion de véritable silence ? Il y a aujourd’hui d’excellentes raisons de ne pas prier. Car la prière n’existe pas en soi, il n’y a que des hommes et des femmes qui prient, ou ne prient pas, ou plus ; et si ces êtres humains sont transformés de fond en comble par des bouleversements techniques inouïs, prier est devenu, littéralement, « impossible ».

Mais au fond, qu’est-ce que prier ? Pour Jacques Ellul, ce n’est pas un besoin naturel de l’homme : la prière ne peut venir que du commandement de Dieu, qui nous laisse libres de lui obéir ou non. Il ne s’agit pas non plus d’un discours, d’une suite de paroles humaines : la prière est vie avec Dieu, et donc silence intérieur pour écouter sa Parole. Prier n’est pas un moyen efficace pour atteindre un objectif, un outil performant ; c’est un combat contre soi-même, contre nos dispersions et nos compulsions consommatrices ; et c’est la plus subversive des conduites, puisqu’elle s’inscrit à contre-courant d’une société obsédée par l’efficacité.
Car c’est en réalité la prière contaminée par l’esprit technicien qui se trouve disqualifiée par la technique elle-même, beaucoup plus efficace. Il reste donc une espérance pour voir ressurgir la prière authentique.
            
                
                        
                        
                        
                        
                        
                        
                        