Si Philippe est souvent discret sur lui-même et sur sa vie, il est en revanche passionné par les questions qui tournent autour de la prison et de l’incarcération. C’est ainsi que lors d’une journée de formation des conseillers presbytéraux, il a interpellé les uns et les autres avec ces chiffres?: «?dans certaines prisons, il y a jusqu’à six détenus par cellule de 9 m2, et ce jusqu’à 23 h par jour?! C’est pour cela que l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), qui ne s’occupe en principe que des questions de torture et de droits de l’homme, s’est penchée sur la question des prisons et des lieux de privation de liberté?! Six dans 9 m2, pendant 23 h par jour… c’est un petit peu de la torture, non ?»

Restaurer le lien familial
Philippe a passé sa vie en prison, ou presque. Aumônier des prisons à Varennes-le-Grand, à proximité de Chalon-sur-Saône, depuis sa retraite, il y a trois ans, il y a longtemps travaillé professionnellement. «?Après les études, alors que je cherchais un peu ce que je pouvais faire, c’est un copain qui m’a parlé du travail auprès des mineurs en prison. Ça m’a paru important de secourir des jeunes en grande difficulté. J’ai donc travaillé quelques années, en tant que contractuel à la prison de Fresnes, en tant qu’éducateur en détention surveillée – la dernière maison de correction de France qui occupait alors une aile de la prison. Après mon concours d’éducateur, je suis arrivé à Chalon-sur-Saône et j’y ai passé ma vie professionnelle en tant qu’éducateur, parfois en milieu ouvert, parfois en milieu carcéral.?» Son métier d’éducateur, il l’a exercé dans le cadre de l’hébergement de mineurs placés et en milieu ouvert pour accompagner des jeunes suivis par la justice qui n’effectuent pas de peine en milieu carcéral ou fermé. Dans ces différentes structures, il a toujours privilégié l’accompagnement des jeunes et de leur entourage, en travaillant à restaurer les liens familiaux autant que possible. «?On ne devient pas délinquant comme ça, ces jeunes ont tous souffert de quelque chose?!?»
C’est dans cette dynamique qu’il a entre autres travaillé à réorganiser le service éducatif de la prison de Varennes-le-Grand?: «?cette responsabilité n’est pas seulement celle de l’éducateur, mais de tout le personnel et de tous les intervenants dans le cadre de la prison?: les surveillants, le service médical, les instituteurs et les psychologues. Il a fallu travailler à une interdisciplinarité qui n’existait pas. C’est avec tous ces regards croisés qu’on arrive à avoir une idée plus précise de la situation réelle du jeune et de ce qu’on peut lui apporter.?»

La foi comme grille et comme guide
Lorsqu’à la retraite, il a cherché où s’engager, il a tout de suite été sollicité par l’aumônier de Varennes-le-Grand, Gérard Dorier, qui a vu l’opportunité de travailler ainsi avec quelqu’un qui avait déjà une grande connaissance du système pénitentiaire français. Alors que Philippe faisait un break dans son engagement au sein de l’Église locale après 20 années passées au conseil presbytéral, cet appel a résonné particulièrement fort pour lui?: «?même si je n’y avais jamais pensé, c’était au fond une suite logique pour moi, suite de mon parcours professionnel, mais aussi de mon engagement militant et de foi.?»
Cependant, il est pour ainsi dire passé de l’autre côté de la grille avec ce ministère d’aumônier des prisons. Pendant sa carrière professionnelle, même si sa foi a toujours été pour lui un guide et une grille personnelle pour son action, il n’était pas question de l’évoquer dans les couloirs de la prison, alors qu’aujourd’hui, il est identifié comme le protestant dans l’enceinte de Varennes-le-Grand. «?J’ai même acheté un pin’s croix huguenote que j’arbore lorsque je fais mes visites?!?», sourit-il.
Membre de l’Acat, il a intégré depuis deux ans maintenant la commission nationale sur les lieux privatifs de liberté. «?Nous venons d’éditer une petite brochure pour lutter contre les préjugés à l’égard de la prison. C’est un lieu qui est mal connu et qui est l’objet de fantasmes, alors qu’avec l’augmentation du nombre de peines pouvant conduire en prison, elle concerne de plus en plus de personnes. Le nombre de détenus actuellement incarcéré en France est de plus de 100?000, plus du double de la population chalonnaise?!?» Après s’être formé, l’année dernière, dans le cadre du Diplôme universitaire d’aumônerie – passage obligé pour tout aumônier actuellement –, à l’université de Toulouse, il a suivi cette année une formation à la justice restaurative. «?Pour moi, le plus important dans mon ministère d’aumônier, c’est d’être un élément permettant aux détenus de se reconstruire, afin de permettre au mieux leur réinsertion à la fin de leur peine.?»
Idées reçues sur la prison
À quoi sert la prison?? Quelles sont les conditions de détention ? Quelles conséquences pour les proches ? Pourquoi y a-t-il toujours plus de personnes détenues ? Pourquoi la prison est-elle, trop souvent, le lieu de pratiques inhumaines et dégradantes, au mépris du respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes détenues ?
Pour répondre à ces questions et battre en brèche les idées reçues, l’Acat a réalisé Idées reçues sur la prison : un manuel de 24 pages qui livre des informations clefs pour faire la lumière sur une réalité ignorée du grand public, celle qui se cache derrière les portes des établissements pénitentiaires.
Parce qu’en France, le combat pour la dignité humaine se mène aussi dans les lieux privatifs de liberté, l’Acat agit, sensibilise et mobilise afin que les personnes détenues soient incarcérées dans des conditions humaines et dignes. Cela passe d’abord par contribuer à changer le regard sur le milieu carcéral et les personnes détenues.
