En bref, Suzanne est menacée de viol par deux vieux juges qui l’accuseront d’adultère si elle parle. Mais pour Suzanne la mort sera plus douce que la honte. Alors, pour sauver leur tête les deux juges parviennent à la faire injustement condamner par le tribunal. Cependant Dieu envoie Daniel pour innocenter Suzanne et confondre les juges, qui seront exécutés.
Étonnamment, cette scène paraît quasiment prémonitoire : un an après son tableau Artemisia est violée par son précepteur. Son père porte plainte : le tribunal fera subir pendant plusieurs mois l’humiliation d’examens intrusifs, et la souffrance de tortures pour s’assurer qu’elle ne ment pas. Surmontant tout, elle sera finalement innocentée et le violeur condamné.
Dans la suite de son éblouissante carrière de peintre, Artemisia montrera encore sa grande résilience. Elle s’émancipera, parcourant l’Italie et l’Europe en femme libre et fréquentant nombre de dignitaires et mécènes. Elle reviendra à deux reprises sur l’histoire de Suzanne, et assurera sa propre catharsis en extériorisant son traumatisme dans la peinture de Judith qui décapite Holopherne (livre de Judith également absent du canon protestant).
Sur ce tableau, Artemisia peint au poignet de Judith un bracelet marqué du nom d’Artémis, montrant qu’elle s’identifie à la justicière. Ėtrange coïncidence : Artémis, à l’origine du prénom Artemisia, était dans la mythologie la déesse de la chasse, mais aussi la vierge éternelle, vengeresse impitoyable des femmes humiliées. Un peu comme si la peintre avait été destinée à jouer elle aussi ce rôle de vengeresse… Mutatis mutandis, comment ne pas penser à l’affaire de Mazan et à Gisèle Pélicot, autre modèle de victime à la résilience exemplaire ?
Dans un monde dominé par les hommes, le génie d’Artemisia Gentileschi sera longtemps ignoré, et ses œuvres attribuées à d’autres peintres. Elle n’est vraiment reconnue que depuis un siècle, après 300 ans d’oubli.
N.B. : au printemps dernier, le musée Jacquemard-André (Paris) a présenté une importante exposition « Artemisia, Héroïne de l’art »
NDLR : voir le tableau Suzanne et les vieillards en couverture de ce numéro.
