Noé Pèrelle

Il est des rencontres tellement incroyables que l’on peut se demander si elles sont réelles ou ne sont que des contes… L’histoire de Noé Pèrelle, le roi du cadeau, est de celle-là. Face aux évolutions de la vente en ligne et de la revente des cadeaux de Noël, il semblait toucher le fond. Mais une rencontre va lui permettre de redécouvrir la joie du don.

La première fois que j’ai rencontré Noé Pèrelle, il traversait une période sombre. Très sombre. À vrai dire, la seule période sombre de sa vie. C’était le jour des « portes ouvertes » au temple de ma petite ville. Il marchait la tête basse, vêtu d’un complet veston parfaitement coupé. Il a vérifié qu’il n’y avait personne dans le temple avant d’y pénétrer. Il s’est assis à un endroit où il pouvait se dissimuler derrière un pilier. Il ne m’avait pas vue, à l’entrée, cachée par le registre où je notais le nombre de visiteurs venant découvrir le temple ce jour-là.

 

Au bout de quelques minutes, il m’a semblé entendre des sanglots. Je me suis approchée. L’homme était effondré. Il pleurait toutes les larmes de son corps. Je me suis assise à côté de lui sans rien dire, et j’ai posé une main sur son épaule. Après un long moment, il s’est calmé. Il m’a regardée un court instant. J’ai été surprise par l’éclat de ses yeux. Puis il a pris une grande inspiration, et m’a raconté son histoire.

 

Noé Pèrelle © rottonara de Pixabay

Bien parti dans la vie

 

Tout avait bien commencé pour lui. Il avait repris l’entreprise familiale, créée il y a un nombre incalculable de générations. « Mon père m’avait prévenu qu’il sentait le tournant venir. Il avait essayé de me persuader de trouver un autre job, plus compatible avec les valeurs familiales ancestrales, mais je voulais innover, comme chacun de mes ancêtres avait su le faire, et je ne l’ai pas écouté… »

 

Violette, sa plus jeune fille a préparé son âne
pour le voyage © JacLou DL de Pixabay

Pour la commande et la livraison des colis, il a eu l’idée de passer par internet. C’est bien plus rapide que le courrier postal… et la traction animale ! On peut retourner les envois qui ne conviennent pas, et recevoir la formule de remplacement en 24 heures. Succès garanti. Les marchandises retournées partent à la poubelle, pas le temps de les vérifier et de les reconditionner. À présent, des centaines de camions sillonnent les routes pour transporter les colis. Il envisage de s’offrir une flotte d’avions cargos. Il a dû embaucher davantage de « petites mains », qui doivent être capables de travailler très vite pour prendre les commandes, préparer les paquets, les emballer, les envoyer. Plus question d’écrire un petit mot d’accompagnement en réponse aux lettres qui très souvent encore accompagnent les bons de commandes. Cela prend trop de temps.

 

Conflit de générations

 

« Ce sont mes enfants qui m’ont alerté. Au début je les écoutais en souriant de leur candeur et de leur idéalisme. Mais je me suis vraiment inquiété quand ils se sont mis à faire grève, et donc à rater un jour entier d’école, chaque vendredi ». Ses deux aînées lui reprochent d’être très largement responsable du réchauffement climatique. Elles lui disent qu’il aurait dû se poser des questions en voyant l’augmentation exponentielle des cadeaux. Qu’il est totalement irresponsable de faire circuler des camions, et bientôt des avions, parfois quasi à vide, pour livrer n’importe quoi, n’importe où et à n’importe quelle heure, à longueur d’année. Et qu’avec tous les biens de consommation jetables qu’il livre depuis tant d’années, il devra un jour répondre de tonnes de déchets au mieux irrécupérables, au pire hautement nocives pour la planète et ses habitants.

 

« Le coup de grâce, c’est quand ils m’ont mis sous les yeux la valse ahurissante de la revente des cadeaux juste après Noël. C’est mon cœur de métier qui était atteint… ». Et puis voilà que ses lutins viennent de se mettre en grève, suite au burn-out de plusieurs d’entre eux, épuisés par les cadences, la routine exaspérante et abêtissante, la vacuité insondable d’un travail qui bien des années auparavant avait été leur plus grande joie et s’est transformé en un absurde esclavage : offrir de plus en plus de cadeaux sur-emballés, et pas qu’à Noël.

 

« Quand j’ai vu ce temple ouvert, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie d’entrer. Pourtant, ça fait longtemps que dans ma famille on ne fait plus aucun lien entre notre profession et l’Évangile… »

 

Il a fini par se lever, m’a remerciée de l’avoir écouté et s’en est allé, la démarche pesante. Et j’ai bien dû me rendre à l’évidence : moi qui n’y avais jamais cru, je venais de rencontrer le père Noël.

 

Les enfants de Noé continuent à manifester tous les vendredis ©wikipedia

Un homme transformé

 

La seconde fois que je l’ai vu, j’ai failli ne pas le reconnaître. Il marchait d’un pas léger, vêtu de vêtements amples et colorés. C’est lui qui m’a abordée, et j’ai alors reconnu l’éclat de ses yeux. Il m’a raconté la suite de son histoire.

 

Il avait décidé de faire une pause, pour réfléchir. Les rênes de la famille étant trop âgés, il est parti à dos d’âne. Épuisé, vidé intérieurement, il s’est laissé guider par son âne qui semblait savoir parfaitement où aller.

 

Trois jours et trois nuits, ils ont marché. À la troisième nuit, ils sont arrivés près d’un village. Il y avait là une étable au vieux toit couvert de mousse. La porte était grand ouverte et à l’intérieur brillait une lumière douce, un peu orangée. L’âne s’est arrêté net, refusant de faire un pas de plus.

 

Noé est entré dans l’étable. Assise sur une botte de paille, une jeune femme tenait dans ses bras un enfant nouveau-né. À côté d’elle, le père de l’enfant préparait un berceau avec du foin dans une cagette vide. L’âne est entré tout doucement et s’est mis à côté du bébé, pour le réchauffer de son souffle. Un jeune garçon du village est venu déposer deux pommes et quelques noix. Un homme de passage a offert sa gourde d’eau fraîche. Une vieille femme a donné son châle pour envelopper l’enfant… Et lui, Noé Pèrelle, roi des cadeaux de Noël, n’avait rien à donner… Rien de rien. Alors il s’est agenouillé, et s’est mis à chanter, comme jamais dans sa vie. L’enfant l’a écouté, lui a souri, puis s’est endormi.

 

« Dès cet instant, ma décision a été prise. À mon retour, j’ai fermé boutique ». Depuis, ses lutins ont pu se reposer et veulent inventer des cadeaux vraiment nouveaux. « Nous ne travaillerons plus que sur le spirituel, l’intemporel, le culturel et l’interculturel » m’a affirmé Noé, rayonnant. Et en s’éloignant, pédalant allègrement sur son superbe vélo cargo, il m’a crié : « Faites savoir à vos lecteurs que s’ils reçoivent des cadeaux inutiles, standards, non recyclables, non réparables, non éthiques, démodables et polluants, ils ne viennent plus de chez moi. Le père Noël prêt à tout, c’est fini, terminé ! Une nouvelle ère va commencer !»

 

 

 

Créez, et vous vivrez !

 

C’est sous ce mot d’ordre que Noé Pèrelle veut désormais travailler. Avec son épouse, ses enfants, et ses lutins, ils réfléchissent longuement : comment répondre au désir de faire des cadeaux, tout en rompant le cycle délétère de la consommation aveugle ? Comment éviter les transports inutilement longs, le plastique, les emballages, les batteries, les eaux polluées, l’exploitation d’enfants ou d’adultes sous payés, les ingrédients « pesticidés » ou cultivés dans des pays déforestés pour fournir à bon marché chocolat, café, bananes et autres produits dont nous avons du mal à nous passer… ?

 

Ils observent ce qui se pratique déjà ici ou là : offrir des cadeaux recyclés, des jouets ou des vêtements d’occasion, des abonnements au cinéma, au théâtre, à des revues, des cours de chants, de cirque, de danse, des confitures maison, la visite d’un lieu magique, une balade à dos d’âne… Les enfants eux-mêmes sont plein d’idées. Si vous en avez, Noé est preneur. Écrivez-lui, le journal transmettra !

 

 

 

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