« La vérité vous rendra libres » (Jean8,32)

Comment entendre cette parole dans le temps singulier que nous traversons, à savoir celui de la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles au sein de notre Église ?
Gustave Doré, Le Christ quittant le prétoire, 1872,
musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg
© Wikimedia Commons

 

 

Pour commencer, comment répondre à la question sous- jacente qui surgit aussitôt, question que pose Pilate à Jésus :« Qu’est-ce que la vérité ? » (Jean 18.38).

 

Du point de vue biblique, le terme hébreu èmèt n’exprime pas tant l’idée abstraite et intellectuelle de vérité que celle de soutien, de fiabilité, de confiance, de fidélité. C’est dans ce sens que la Bible hébraïque emploie 126 fois ce terme èmèt, issu du radical âmin qui signifie « être ferme ». Lorsque nous disons âmen, nous déclarons : « Je reconnais que la parole qui vient d’être dite est fiable. »

 

Appliqué à des personnes, ce mot exprime ce qui prédomine dans leur parole, leur action, leur pensée : un ish èmèt est un homme véridique qui construit sa vie sur des bases solides, qui pose des gestes qui sont sincères, dont les paroles sont vraies. Mais dans la Bible hébraïque, la vérité est surtout associée au Dieu d’Israël. C’est l’essence même de Dieu qui est èmèt et la proposition inverse est tout aussi vraie : èmèt(1) a son essence en Dieu.
« Tu aimes la vérité » dit le psalmiste (Ps 51.8), et cette « vérité » de Dieu engage celle de l’homme. « Celui qui dit la vérité en son cœur peut habiter la montagne de l’Éternel » (Ps 15.2). Autrement dit, l’homme dont la conscience est orientée vers la vérité règle sa vie en accord avec Dieu, d’où la formule biblique surtout présente dans les psaumes : « marcher dans la vérité » (Ps 25.5 ; 26.3 ; 86.11).

 

 

La vérité, une relation filiale avec le Père

 

Dans le Nouveau Testament, nous rencontrons pour « vérité » le mot grec aletheia dont le sens est très proche de celui d’èmèt, mais qui ne le recouvre pas entièrement, car aletheia signifie, littéralement, le « non dissimulé », le « non voilé », le fait de ne pas dissimuler, d’agir avec droiture. Dans ses épîtres (Eph 4.21, Ga 2.5, Rom 2.2 et 6-8, etc.), Paul parlera de la « vérité de l’Évangile » ou de « la vérité qui est en Jésus ». C’est l’Évangile de Jean qui laisse la plus grande place à la notion de vérité avec 46 occurrences du mot, alors qu’on en trouve seulement deux chez Matthieu, quatre chez Marc et quatre pour Luc.

 

Dans le quatrième Évangile, la vérité est l’action même de porter à la lumière des choses cachées. C’est aussi un état de fait où la réalité s’offre pleinement au regard, telle qu’elle est réellement au sens d’authenticité.

 

La vérité devient alors une pierre de touche de la présence du règne de Dieu dans ce monde et du témoignage de toutes celles et ceux qui disent marcher dans les pas du Christ. Mais plus encore, la vérité, dans l’Évangile de Jean, est relation filiale avec le Père.

 

La parole qui nous occupe – « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » – s’inscrit dans un dialogue extrêmement tendu entre Jésus et les Judéens, précisément sur la question de l’identité filiale de Jésus (Jean 8.31-47). C’est en entrant dans cette communion, dans cette relation filiale au Père, à laquelle Jésus nous appelle, que chacun et chacune se met en situation de vérité, tant à l’égard de lui-même qu’à l’égard d’autrui. Entendons par là que la vérité n’est pas un système de propositions ou de spéculations philosophiques. Elle est, avant tout, existentielle et relationnelle.

 

 

Repenser notre ecclésiologie

 

 Ce long excursus pour vous faire comprendre ô combien la parole du Christ – « La vérité vous rendra libres » – vient me rejoindre au plus près d’un questionnement devenu quasi obsessionnel et qui touche précisément à l’exigence de vérité en Église. Car aujourd’hui, la parole des victimes d’agressions sexuelles, libérant la parole d’autres victimes, nous fait découvrir un puits sans fond, un paysage ecclésial de larmes et de cendres où ce que l’on croyait fiable, solide, n’est plus. Et c’est alors tout un monde qui s’effondre, qui disparaît sous nos pieds.

 

Un professeur d’éthique qui s’est révélé être un prédateur sexuel ; des pasteurs infidèles à leur propre message multipliant des abus sexuels et spirituels ; par le passé, des membres d’un Conseil national ou d’un Conseil régional qui, croyant protéger l’institution, ont passé sous silence la parole des victimes ; l’entre-soi institutionnel qui a permis des protections tacites et un sentiment d’impunité ; les promotions de ceux-là mêmes qui avaient été dénoncés, etc. Tous ces dysfonctionnements que nous avons découverts, médusés, maltraitent notre vie d’Église et abîment notre confiance de façon durable. Comme l’écrit Dominique Collin : « Il y a une manière de ne pas être vrai avec la vérité quand on la détourne de ce qu’elle fait en vérité : rendre possible la confiance(2). » Lorsque nous décelons une incohérence, une contradiction, voire une inversion entre la parole et l’agir, alors oui, la confiance s’étiole, l’autorité de l’Église se défait et le message de l’Évangile en est comme brouillé. Mesurons alors le mal fait à l’Église du Christ, Lui « le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6). Trois termes que le Christ nous demande de ne pas isoler puisqu’ils ne cessent de dialoguer ensemble. Ainsi, tout ce qui vient compromettre la vie ne peut être que de l’ordre du mensonge et tout mensonge est une fixation qui barre le chemin. C’est d’ailleurs pour cette raison que Jésus fait du men- songe un anti-évangile (Jean 8.44). Loin du mensonge et des silences complices qui nous empêchent de distinguer la vérité en soi ou autour de soi, il nous faut, à présent, tout rebâtir, repenser notre ecclésiologie, les questions de gouvernance, de formation des ministres, d’enseignement, à commencer par celui dispensé à l’Institut de théologie de Montpellier. Avec les Églises locales, avec les ministres, avec les délégués synodaux, avec les membres actuels de la Commission des ministères et du Conseil national, nous devons le faire dans le nom de Jésus- Christ, sachant que Lui seul peut nous affranchir, nous libérer, nous relancer sur le chemin de l’Évangile. De cette vérité il s’agit désormais de vivre. Car le don de la vérité sous-entend aussi de notre part un abandon, une disponibilité, une écoute : « Quiconque est de la vérité écoute ma voix ! » (Jean 18.37). Il est désormais vital pour notre Église de se rendre entièrement disponible à la Parole du Christ et d’y répondre par des actes concrets. C’est alors, seulement, que nous saisirons dans toute sa profondeur Sa parole :

 

« La vérité vous rendra libres. » Parole que je reçois, pour ma part, au creux de mon tourment, de ma colère mais aussi de mon espérance.

 

(1) Le Talmud de Jérusalem fait d’ èmèt l ’acronyme de Elohim Melek Tamid (Dieu Roi Éternel) (TJ Sanhédrin 18a).

 

(2) Dominique Collin, Le christianisme n’existe pas encore, Éditions Forum Salvator, Paris, 2018, p. 67.

 

 

 

 

 

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