Pourtant, cette vérité a d’abord orienté la vie de Luther. En fidélité à elle, il choisit d’être prêtre et moine, obéissant et soumis aux pratiques religieuses qu’elle exigeait. Toutefois, malgré ses efforts, sa quête spirituelle va demeurer douloureusement insatisfaite.
Une vérité relationnelle et existentielle
Luther découvre alors que la vérité chrétienne n’est pas de l’ordre d’un savoir. Elle n’est pas une doctrine, une morale, un système de valeurs ou de croyances immuables, auxquels il faudrait adhérer. Pour le chrétien, la vérité est une personne, le Christ, qui vient à notre rencontre, suscitant une relation de confiance, c’est-à-dire de foi avec lui. Par conséquent, si nul ne peut prétendre détenir la vérité sur Dieu, chacun·e est appelé·e à vivre une relation en vérité avec Lui. Sa Parole d’amour libératrice permet d’être « vrais », nous accueillant tels que nous sommes véritablement, avec nos certitudes, nos questions et nos doutes. Comme toute relation, celle avec le Christ ne saurait se figer dans des expressions ou des modalités définitives. Nul ne peut la posséder, ni « l’enclore » disait Calvin. Ce qui signifie que si Christ est la vérité ultime de ma vie, s’il est absolument la vérité pour moi, je ne peux pas l’imposer comme une vérité absolue pour tous. Je peux seulement témoigner de ma foi en Lui et des conséquences de sa présence dans mon existence. En sachant que Dieu est toujours au-delà des représentations et institutions humaines à travers lesquelles nous parlons de Lui.
Dieu au-delà des langages humains
Cela ne veut pas dire que nos langages sur Dieu seraient inutiles et vains. Car « La Parole a habité parmi nous » (Jean 1.14), et donc Dieu a choisi de s’incarner, de se révéler et de manifester sa présence à travers les mots et les gestes humains. Mais ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes la vérité. Ils sont des expressions, des formulations, des constructions humaines qui s’efforcent de rendre compte de notre rencontre avec Dieu. Ces langages ne livrent pas un contenu de vérité sur Dieu, mais ils témoignent d’une relation en vérité avec Lui, que l’on ne peut pleinement définir ni ne doit imposer. Car Dieu est au-delà de tout langage. On ne peut avoir accès à Lui, disait Luther, « dans sa nudité ». Il nous rejoint à travers des paroles, des expressions, des écrits humains. Ces langages ne sont pas Dieu. Ils ne sauraient donc être sacralisés, rendus intouchables. Ils ne font que renvoyer à Lui et appeler à la foi.
Cheminer avec le Christ
C’est pourquoi ces langages sont inévitablement divers. Comme on le voit déjà dans les textes bibliques ou les écrits théologiques, ou encore dans les débats qui habitent et vivifient l’Église.
À condition que cette diversification ne sombre pas dans le relativisme d’une « tolérance usée », disait Paul Ricœur. Ou qu’elle s’atomise, comme c’est le cas aujourd’hui dans la société, en une multitude de vérités absolutisées, plus péremptoires les unes que les autres et incapables de dialoguer entre elles. Sans oublier les dogmatismes et fanatismes religieux qui demeurent, voire se développent.
On mesure alors combien il importe, pour le chrétien protestant, de se mettre à l’écoute et de témoigner de cette parole bouleversante et si actuelle de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14.6). La conjugaison de ces trois termes souligne que la vérité du chrétien est de l’ordre d’une quête et d’une relation confiantes avec Celui qui ouvre la route vers une vie nouvelle.

