Une ambiance paisible, des chants d’oiseaux… soudain le vacarme d’une tondeuse fait s’égosiller les oiseaux. Veulent-ils se faire entendre ? manifester leur réprobation ? Quand la tondeuse s’arrête, ils se taisent un instant, comme sidérés.
Berlin, octobre 2001. Pour le centenaire de la mort de Verdi, Claudio Abbado dirige le célèbre Requiem. La soprano Angela Gheorghiu vient d’interpréter le dernier mouvement, Libera me, avec une intense charge émotionnelle. Le chef, affaibli par une grave maladie, exténué, suffocant, peine à retrouver son souffle. Après la dernière note, 31 secondes s’écoulent – un record – dans un silence bouleversant, puis l’explosion des applaudissements libère enfin l’émotion contenue. Le silence est une présence.
Les artistes ont aimé s’emparer de cette présence absente. En peinture, il se fait tour à tour recueillement des paysans entre temporel et intemporel avec L’Angélus de Millet; solitude et incommunicabilité dans L’Absinthe de Degas; méditation énigmatique dans L’Ile des morts de Böcklin; ou encore invitation à s’abstraire du monde avec Le Silence de Khnopff.
La littérature explore d’autres silences encore, souvent effrayants comme celui éprouvé par Pascal devant l’infini. Celui du silence de Dieu, évoqué par Hugo : « Rien ne répond dans l’éther taciturne » (Horror). Ou celui que Mère Teresa confie dans sa Correspondance : « Pour moi le silence et le vide sont si grands que, quand je regarde, je ne vois pas; quand j’écoute, je n’entends pas ». Silence terrible quand il ébranle les convictions ! Le silence de Dieu, condition de notre libre-arbitre, ne contribuerait-il pas à son effacement dans les cœurs de notre siècle, où domine l’inflation du bruit ? Beaucoup hélas ont cessé de se demander si le silence d’un Dieu caché était Parole.
Dans son poème Solvet saeclum, Leconte de Lisle nous offre une vision apocalyptique : « Tu te tairas, ô voix sinistre des vivants […] D’un seul coup la nature interrompra ses bruits », écho au Dies irae (jour de colère) du Requiem : « Solvet saeclum in favillas » (il réduira le monde en cendres).
Enfin, dans l’attente du Verbe le silence prend une dimension cosmique : « Quand l’agneau ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure » (Apocalypse 8:1). Le silence veille.
