Un sublime ciel pendant la nouvelle lune, peuplé d’étoiles et d’objets diffus, appelle naturellement chacun à la réflexion contemplative. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Quelle est l’origine de l’univers ? Quel est son futur ? Et Dieu dans tout ça ?
Si la dernière question appartient au domaine spirituel, les deux premières sont l’objet d’une science, la cosmologie, qui a atteint sa maturité au début du 21e siècle. Science un peu spéciale, la cosmologie a pour but de comprendre et de décrire l’histoire physique de l’univers, de sa naissance à aujourd’hui.
Connaissances objectives
Portons un regard panoramique sur les connaissances objectives que la cosmologie contemporaine nous apporte.
D’une part, nous vivons dans le seul univers observable que nous connaissions ; par conséquent, réfuter les modèles interprétatifs ne peut se faire en comparant des univers entre eux, mais implique forcément une logique circulaire.
D’autre part, la cosmologie flirte avec les limites de validité de concepts fondamentaux de la physique, comme le temps, l’espace, la singularité primordiale, la causalité. Si bien que la tentation peut être forte de s’en inspirer pour la théologie.
Une naissance singulière
La dernière décennie du 20e siècle et les premières du 21e siècle ont vu nos connaissances sur le cosmos s’enrichir rapidement, à la fois sur l’observation et sur l’interprétation.
Aujourd’hui, nous savons que l’univers est né il y a 13,8 milliards d’années (à 100 millions d’années près) dans une phase chaude que la physique peut prédire jusqu’à un moment infinitésimal avant le début de l’univers (10-43 s), appelé « mur de Planck ».
Les trois premières minutes de l’univers resteront longtemps hors de portée de nos capacités expérimentales, mais elles sont déduites d’une théorie robuste, la mécanique quantique.

Petite frise cosmique de l’histoire de l’univers
© Wikimedia Commons
Les premières secondes de l’univers
Avec l’expansion de l’espace-temps et le refroidissement de l’environnement, ces trois premières minutes voient l’apparition successive des quatre interactions physiques observées aujourd’hui par découplage d’une force unifiée originelle. Cela va de pair avec l’apparition des particules de matière et d’antimatière (quarks, antiquarks, électrons, positons, neutrinos, etc.).
Quand l’univers est âgé de moins d’une seconde, il est encore très chaud, dominé par le rayonnement, pourtant il contient déjà tous les éléments familiers de notre univers local : les protons et neutrons, bases des noyaux chimiques qui composent la matière nous entourant, la lumière issue de la fusion entre matière et antimatière (grâce à un petit surplus de matière) et les quatre interactions physiques fondamentales (à savoir : interaction électromagnétique, interaction faible, interaction nucléaire forte et interaction gravitationnelle).
Modèles et observations
On peut commencer à confronter les modèles aux observations avec le premier événement de l’univers primordial susceptible d’être observable quand nos moyens expérimentaux le permettront : l’émission massive de neutrinos quand l’univers est âgé de deux secondes.
Le deuxième événement se produit quand l’univers atteint l’âge d’une minute : la nucléosynthèse initiale. Les protons fusionnent entre eux et avec les neutrons pour former le gaz primitif qui servira, des centaines de millions d’années plus tard, de carburant à la formation des étoiles. La théorie prédit qu’un atome d’hélium se forme pour dix atomes d’hydrogène. C’est encore la proportion qu’on observe aujourd’hui dans le gaz primordial.
Un troisième événement observé aujourd’hui advient quand l’univers est âgé de 380 000 ans : la lumière cosmologique issue de la capture des électrons par les noyaux atomiques. L’univers est alors mille fois plus petit qu’aujourd’hui et sa température dépasse les 3 000° C. Cette lumière qui nous arrive du fond des âges est observée aujourd’hui à une température de -270° C, c’est-à-dire en onde radio.
Elle nous informe que l’univers jeune était extraordinairement homogène. C’est aussi à ce moment-là que l’univers entre dans sa vie d’adulte, dominé par la matière et l’attraction gravitationnelle.
L’ère des étoiles et des grandes structures
Le ballet cosmique s’organise alors en une compétition entre l’expansion de l’univers et les zones de surdensité qui s’effondrent sur elles-mêmes, créant étoiles et galaxies par agrégation hiérarchique des objets les plus petits (trous noirs et amas d’étoiles) aux plus grands (amas de milliers de galaxies).
En parallèle des grandes structures se déroule l’histoire de la complexification de la matière en espèces chimiques de plus en plus complexes, dont les moteurs sont les générations successives d’étoiles, à la fois pourvoyeuses d’énergie et d’éléments chimiques lourds. L’évolution de cette matière se fait sur 13,7 milliards d’années.
Le grand télescope spatial James-Webb nous permet d’observer cette histoire depuis les toutes premières étoiles ! Notre soleil et son cortège de planètes sont nés dans notre galaxie géante voilà cinq milliards d’années. L’émergence de la vie (astrobiologie) est une autre longue histoire, encore bien lacunaire.

Le ballet cosmique s’organise, créant étoiles
et galaxies par agrégation hiérarchique
© Pixabay
Les lacunes de la cosmologie
La cosmologie fait face aujourd’hui à des incohérences encore non élucidées. Les grandes structures observées dans l’univers local sont trop importantes pour la quantité de matière présente dans l’univers avec l’attraction gravitationnelle en action. Pour réconcilier la gravitation et les observations, les astronomes ont inventé une matière invisible dont le seul effet est gravitationnel : il en faut six fois plus que de matière ordinaire ! Pire, les astronomes ont découvert à l’aube du siècle que l’expansion de l’univers accélérait, ce qui est impossible dans le cadre théorique de la relativité générale.
Ils ont dû inventer une nouvelle forme d’énergie, baptisée « énergie noire ». Cette énergie noire doit composer 70 % de toute l’énergie de l’univers. Ainsi, l’univers serait aujourd’hui composé de 95 % de composantes sombres (matière : 25 %, énergie : 70 %) et ce que nous voyons avec nos télescopes ne seraient que les 5 % restants.
Et Dieu dans tout ça ?
Il est tentant, comme croyant, de se dire qu’inventer des composantes invisibles est finalement du même ordre que croire en un dieu créateur, un grand dessein, un grand horloger, qu’il est évident que Dieu se trouve derrière la singularité, le temps, l’espace et tout ce qui nous entoure.
Mais franchir ce pas serait renoncer à deux beaux cadeaux que Dieu a offerts à l’humanité : la curiosité et l’intelligence. Je crois que Dieu et la science sont incommensurables au sens philosophique du terme, c’est-à-dire qu’ils peuvent coexister dans le cœur et l’esprit de chacun, pour notre plus grand bonheur !
Sur l’auteur :
Membre de l’Église protestante unie de France en Hautes-Pyrénées, Rémi Cabanac est également membre de l’équipe Galaxies, astrophysique des hautes énergies et cosmologie de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de l’Université de Toulouse III Paul-Sabatier, directeur scientifique du Pic du Midi, directeur adjoint de l’Observatoire Midi-Pyrénées en Bigorre.
