« Comme les Cévennes, le Luberon a un fort héritage protestant, explique Stephen Backman, président du Conseil régional de l’Église protestante unie en région PACCA et précédemment pasteur de la paroisse de Pertuis-Lourmarin. Nous nous sommes demandé : comment y retrouver une place pour témoigner aujourd’hui ?» L’une des réponses a été la création du Festival des arts de la parole, en 2021. La première année, tout se passait au temple, avec plusieurs représentations de la compagnie Sketch’Up et des cours d’art oratoire. Puis le festival est sorti de ses murs protestants en nouant des partenariats avec la mairie de Lourmarin et d’autres associations.
« Notre parole se veut humble, partagée, écoutante, poursuit Stephen Backman. Si nous voulons qu’elle soit entendue, il faut que nous soignions la parole. Il faut qu’elle soit libre et rejetable. C’est comme cela que Dieu est venu vers vous, fragile, avec une parole risquée, partagée. »
© Luc Perin
Les pouvoirs de la parole
En 2025, le fil rouge du Festival des arts de la parole prend la forme d’une question : « Sitôt dit, sitôt fait ? ». Une manière d’interroger les pouvoirs de la parole et de rappeler, à une époque où elle est trop souvent dévoyée, que la parole peut être « performative ». C’est-à-dire qu’elle peut contribuer à l’accomplissement d’une action. En ce samedi 5 juillet, la question prend aussi une coloration territoriale : « Cette journée est celle du lien avec le village, avec la région, explicite Olivier Arnéra, directeur artistique du festival. Nous ne sommes pas un festival hors sol, cet enracinement nous permet de déployer nos ailes. »
Dès le matin, nous partons sur les traces d’un écrivain qui vécut entre Marseille et Lourmarin, le poète Christian G. Guez Ricord (1948-1988). C’est Dominique Sorrente, qui l’a reconnu dès 1970 comme son « frère aîné en poésie », qui conduit cette promenade poétique avec ses amis de l’association Le Scriptorium. Premier arrêt : devant le pré de la Plantade, entre le nord du village et le château, avec vue sur le hameau des Bastides, où séjournait Christian. Nous y écoutons l’une de ses lettres à un autre poète, Yves Bonnefoy. Puis nous repartons en direction du temple de Lourmarin où nous faisons halte au pied d’un grand cyprès. Les paroles s’y mêlent alors au chant des cigales.
Au micro de France Culture
Mais pour nous, il est déjà temps de rejoindre la terrasse de l’hôtel Le Moulin, au cœur du village. C’est ici, sur deux tables de café, que Jean-Luc Gadreau a posé les micros de Solaé, l’émission protestante sur France Culture. Olivier Arnéra, interviewé sur le festival, esquisse pour les auditeurs une éthique de la parole : « Une parole juste n’est pas une parole généraliste mais une parole à l’écoute des personnes. » Quelques minutes plus tard, c’est Adeline Le Baron, adjointe au maire de Lourmarin, qui s’exprime en ces termes au micro de France Culture : « Nous voyons grandir le Festival des arts de la parole avec beaucoup de joie. Il prend sa place, il s’installe, il est devenu l’un des points forts culturels de l’année. »
Portés par ces fortes paroles, nous rejoignons maintenant le QG du festival pour partager un déjeuner avec les bénévoles. « Cette année, 25 bénévoles sont impliqués dans l’organisation, rapporte Sophie Deschamps, chef de projet du festival. Ils viennent de paroisses, des cours d’art oratoire du Parvis des Arts ou d’autres horizons. Leur motivation commune est l’amour de la parole. » Jean-Pierre, ancien libraire à Lourmarin, participe par exemple à l’animation du temps des enfants, organisé tous les jours à 15 heures, à la médiathèque. Il y pratique le kamishibai, leur racontant des histoires grâce à un théâtre miniature où il fait défiler des images.
© Marie Perin
Des relations fraternelles
Dans la salle attenante au QG, l’Espace Camus, c’est une autre bénévole qui officie. Il s’agit de Florence, paroissienne du temple de Grignan, à Marseille. Elle vient au festival pour la troisième année. Avec un autre bénévole, elle tient le stand de la librairie, où l’on retrouve une sélection d’ouvrages en lien avec la programmation. « J’aime beaucoup l’ambiance du festival, la grande simplicité des relations humaines, les liens de fraternité entre nous, comme dans une paroisse », témoigne-t-elle.
Nous nous tournons maintenant du côté de la scène. Des professionnels de la compagnie Le vent se lève sont en train d’installer le spectacle de demain. Avec d’autres comédiens venus des Hautes-Alpes, des amateurs, ils présenteront Dans l’œil de la baleine. « Le pasteur Christophe Jacon souhaitait créer un spectacle sur l’amour et la désobéissance, raconte Marie Favereau, auteure et metteuse en scène. Le spectacle commence par des questions, des débats, avant de plonger dans la crise et de se retrouver dans le ventre d’une baleine… » Nous n’en dirons pas plus pour ceux qui veulent voir ou revoir ce spectacle, qui tournera dans la région cet automne.
Dans la cour de l’école Philippe de Girard
Qu’elle est riche cette journée au festival ! Nous prenons à présent le chemin des écoliers pour entrer dans la cour de l’école primaire Philippe de Girard. Un établissement qui porte le nom de l’inventeur né à Lourmarin, il y a 250 ans, et qui dispense son enseignement dans l’ancienne demeure de la famille Girard. Ce génial ingénieur est au cœur de la conférence lecture de cette fin d’après-midi, qui nous raconte notamment ses mésaventures avec Napoléon 1er. En 1810, l’empereur promet un million de francs à qui produira la meilleure machine à filer le lin. Philippe de Girard s’exécute, innove, investit mais jamais il ne touchera le million ! Sitôt dit, sitôt fait ?
© Marie Perin
Que notre joie demeure
Après un passage à Château Fontvert, domaine viticole où les partenaires du festival sont reçus, en présence de M. le Maire, nous rejoignons un autre château, celui de Lourmarin ! Sur la terrasse, les festivaliers sont nombreux à prendre place pour assister à un spectacle d’exception, qui affiche complet : la lecture de Que ma joie demeure de Jean Giono, par Robin Renucci, comédien, metteur en scène et directeur de La Criée, le théâtre national de Marseille. Le jour baisse de plus en plus, la façade du château s’illumine progressivement, les spectateurs écoutent religieusement le grand acteur. Pourtant, le propos de Giono ne se veut pas religieux. L’écrivain de Manosque a choisi pour son œuvre le titre d’un choral de Bach mais lui a enlevé le nom de Jésus?! Écoutons cependant ce qu’il fait dire à son personnage principal, le providentiel Bobi?: « Vous croyez que c’est ce que vous gardez qui vous fait riche. On vous l’a dit. Moi, je vous dis que c’est ce que vous donnez qui vous fait riche. » Une telle parole ne pourrait-elle pas figurer dans les évangiles ?
