L’assemblée de la Pierre Plantée

Chaque année les protestants du consistoire du Tarn et de ses environs se retrouvent pour célébrer un culte en plein air dans les monts de Lacaune au lieu-dit la Pierre Plantée. Mais quel(s) événement(s) amène(nt) ces protestants à se réunir en ce lieu ?

Nous savons tous qu’après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, les temples sont détruits, le culte est interdit et tous les protestants deviennent des nouveaux convertis. Cependant, derrière cette façade officielle, les conversions forcées n’ont pas l’effet attendu. Rapidement des Églises renaissent, sans organisation. Alors, pour célébrer leur culte, les protestants s’assemblent dans des lieux isolés : le Désert. Nous connaissons aussi les peines réservées aux personnes surprises dans ces assemblées : les galères pour les hommes, la prison pour les femmes, les couvents pour les enfants et la mort pour les pasteurs et les prédicants. Malgré le risque, ces prédicants, appelés aussi prophètes, dirigent les premières célébrations. Plusieurs prophétesses sont connues dans le haut pays castrais : Marguerite Mattet (la visionnaire de la capelle d’Escroux) et la prophétesse de la Bessière de Berlats. Elles annonçaient le relèvement de l’Église et la Délivrance. Voilà qu’elle est la situation dans les monts de Lacaune en ce temps pascal de l’année 1689.
L’assemblée du 1er avril 1689
Le 1er avril 1689, au pied du cimetière de l’église de Saint-Jean del Frech (commune de Lacaze, Tarn), se tient une assemblée réunissant près de 1200 personnes. Le lieu est original (au pied d’une église catholique) mais il est isolé. Plusieurs témoignages décrivent l’apparition d’un « ange », en réalité une jeune fille en blanc. Dans cette période de trouble, les protestants sont dans un grand désarroi. Du coup, tout signe, même l’apparition d’un « ange », annonce leur proche délivrance. Cette assemblée ne passe pas inaperçue. Les communautés civiles des environs ainsi que les seigneurs des lieux en ont connaissance. Les troupes des dragons sont dans l’albigeois. Dès trois heures du matin, des détachements sont envoyés pour surprendre et dissiper les protestants réunis. À 6h du matin, la « croisade » commence. Le prédicant Corbière face aux gens en arme s’écrie : « Va ! Arrière de moi, Satan ! ». Une lutte armée commence. Le bilan est lourd et la violence sordide. Corbière réussit à fuir.
L’assemblée du 3 avril 1689
Trois jours plus tard, le 3 avril 1689, le jour du dimanche des rameaux, une nouvelle assemblée se réunie à « Fon Frège au bout de l’estrade de Ferrières », malgré la présence des dragons. Le prédicant est toujours Jean Corbière. Même s’il se sait recherché, il réunit dans ce lieu environ 500 personnes. Tout le monde est attendu pour 9 h. Mais les dragons, avec à leur tête le baron de Ferrières (Nouveau converti) arrivent sur les lieux. Tout le monde prend la fuite. Les militaires ont un seul objectif, le prédicant La Picardié dont ils ont reçu l’ordre de le capturer mort ou vif. Dans les relations historiques contemporaines décrivant la mort de Jean Corbière, il est difficile de démêler la réalité du mysticisme. Selon la légende, le prédicant, fuyant devant les chevaux des dragons, aurait dessiné autour de lui un cercle, pour se protéger et se serait écrié : « Venez, approchez ! » (Ésaïe 45,20). Alors que les dragons l’encerclèrent, il les invectiva : « Arrière de moi, Satan, tu ne me tenteras point » (Marc 8,38). Effrayés par le prédicant, les chevaux se seraient braqués et les dragons, ne pouvant maîtriser leur monture et abandonnant l’idée de le capturer vivant, auraient tiré sur le prophète. Cinq coups de fusil et un coup de baïonnette ne suffisant pas à venir à bout de la Picardié, ils l’auraient achevé avec une grosse pierre. L’autopsie du corps du prédicant aurait révélé que les trois premiers coups de feu ne l’aurait pas atteint. La légende veut en tout cas que Jean Corbière ait eu la tête écrasée sur un rocher et non avec une pierre. Ce menhir est toujours en place aujourd’hui. Cette pierre a plus une valeur symbolique et marque certainement l’emplacement où il est mort.

 

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Le pèlerinage protestant
Il faut attendre 1898 et les premiers grands historiens du protestantisme (Camille Rabaud et Urbain de Robert-Labarthe, tous deux pasteurs) pour rappeler le sort de Jean Corbière. Le protestantisme français de la fin du XIXè siècle est en pleine redécouverte de son histoire. C’est à cette même période, que la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF) acquiert la maison du chef camisard Rolland au Mas Soubeyran pour en faire un musée qui ouvrira ses portes en 1911. Les Cévennes deviennent le premier centre de pèlerinage huguenot. Les Montagnes du Tarn souhaitent-elles ne pas être en reste ? Peut-être. Toujours est-il qu’en 1922, un monument est élevé à côté de la stèle-menhir ; emplacement supposé où le prédicant prophète a rendu son dernier soupir. Le 5 juin 1922, un lundi de pentecôte une assemblée d’un millier de personnes, 18 pasteurs en « robe » et les chœurs de la région se retrouvent pour l’inauguration de l’obélisque de granit. Depuis lors, chaque dernier dimanche d’août les protestants du consistoire du Tarn se retrouve dans les Monts de Lacaune pour leur assemblée au Désert. Nous sommes tous d’accord… Un pèlerinage protestant, quelle horreur ! Et cependant ! Quelle joie de se retrouver dans ce lieu symbolique pour écouter une parole vivante d’aujourd’hui. La journée commence par un culte dans un pré entre le monument de la Pierre Plantée et un bois à l’ombre des pins et des chênes. Au moment du pique-nique, les personnes présentes s’éparpillent et des groupes se forment pour déjeuner ensemble, des familles ou des amis se retrouvent ce jour-là. L’après-midi est consacrée à une conférence, souvent historique. A la fin de la journée chacun repart heureux d’avoir vécu un instant à part dans leur vie de croyant.
Un lieu de ressourcement
Le protestantisme étant largement minoritaire en France, de tels rassemblements permettent aux communautés de se sentir plus forte et d’oublier un instant la dissémination. Je laisse la conclusion finale au pasteur Ducommun interrogé par l’abbé André Maynadier dont l’ouvrage de référence a permis la rédaction de cet article. Une conclusion un peu sentimentale, pleine de lyrisme, mais finalement qui résume ce que beaucoup de protestants, se rendant à la Pierre Plantée, vivent. […] : « Un regard puissant, un message sûr ; sans doute exalté mais pour une bonne cause. Il faut remonter en ce temps-là et ne pas juger avec les idées de notre temps. Un homme certes courageux qui faisait de Jésus-Christ son maître et le prêchait pour fortifier ses frères dans la foi héritée des pères, combattue à mort par la politique religieuse majoritaire d’alors. Et c’est par une prière silencieuse que je m’éloignais de ce haut-lieu historique. J’ajoute que la Pierre Plantée ne m’a jamais suggéré l’esprit étroit d’une vengeance de la pensée, mais plutôt un esprit d’intercession et de miséricorde à l’égard de tous les hommes dans la ligne des Béatitudes. »

 

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À lire :
MAYNADIER, André, Les toutes premières assemblées du Désert dans le Haut pays castrais, 1688-1689.
CABANEL, Patrick, Impensable pèlerinage protestant ? L’assemblée annuelle du Musée du Désert, Archives de Sciences Sociales des Religions, n°155, juillet-septembre 2011, p 148-164.

 

 

 

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