Il est des livres que nous n’avons pas gardés dans notre Bible. Le Livre de la Sagesse, écrit en grec à Alexandrie, au Ier siècle avant notre ère, en fait partie. Pourtant, en parcourant ces pages, nous avons l’impression d’entendre une voix familière. Ce texte parle d un dieu patient, créateur, aimant.
Le passage des chapitres 11 et 12 est bouleversant : « Tu as pitié de tous, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se convertissent » (11.23). Quelle étrange définition de la puissance de Dieu ! Là où nous attendrions la force qui sanctionne, la rigueur qui tranche, le texte célèbre la patience de Dieu. Comme si la vraie toute-puissance se révélait précisément dans la retenue. Le Dieu de la Sagesse n’est pas pressé : il attend, il laisse du temps, il donne encore une chance. Sa puissance n’est pas violence, elle est miséricorde.

Dieu nous libère de nos enfermements
Parfois, nous autres humains, nous rêvons d’une autre puissance. Nous cherchons dans la force immédiate et nous risquons de vouloir imposer notre volonté allant même dans une posture de contrôle sur l’autre. Et lorsque l’histoire devient incertaine, que les menaces s’accumulent, nous pouvons nous tourner vers des sécurités illusoires. Alors surgissent les nationalismes : promesses de protection, exaltation de frontières, discours de suprématie. Comme si se refermer sur soi pouvait conjurer la peur. Comme si se proclamer « maître chez soi » suffisait à se croire tout-puissant. Mais cette puissance-là est trompeuse : elle naît de l’angoisse et ne produit que de la division. Derrière le masque de la force, se cache une immense fragilité.
Le Livre de la Sagesse déplace radicalement ce regard. Il affirme : « Tu aimes tout ce qui existe, et tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait » (11.24). Voilà le cœur de la puissance divine : un amour qui englobe toute créature. Rien de ce qui existe n’est de trop. Rien n’a été créé en vain. Là où nous dressons des barrières, Dieu les fait tomber. Là où nous classons les êtres entre utiles et inutiles, dignes ou indignes, Dieu dit : « J’aime tout ce qui vit. » Ce n’est pas un détail. C’est une révolution : Dieu ne se protège pas, il s’expose. Dieu ne se replie pas, il embrasse. Dieu ne se ferme pas, il ouvre.
La pédagogie divine
Et le texte ajoute : « Ton Esprit incorruptible est en tous les êtres » (12.1). Une affirmation d’une audace incroyable. L’Esprit de Dieu, souffle de vie, présent en toute chose, présent en tout être. La Création entière baigne dans cette présence. Rien n’est hors de portée de Dieu, pas même celui qui s’en éloigne. Le but, me demanderez-vous ? Non pas excuser le mal, mais offrir toujours encore la possibilité de changer. « Tu reprends doucement ceux qui tombent, tu les avertis et tu leur rappelles leurs fautes, afin qu’ils renoncent au mal et qu’ils croient en toi, Seigneur » (12.2). La pédagogie divine n’est pas faite de coups de force, mais de rappels patients, d’avertissements doux, de nouvelles chances données. Rappelons que le pédagogue de l’Antiquité grecque était l’esclave qui se tenait près du jeune élève sur le chemin de l’école.
Qui est vraiment puissant ? Est-ce l’homme qui se barricade derrière ses drapeaux et ses frontières ? Ou est-ce Dieu qui, au lieu de se protéger, patiente, supporte, croit encore inlassablement en l’être humain ? Dieu qui aime par-dessus tout La Bible ne cesse de nous le rappeler : le vrai pouvoir de Dieu n’est pas de contraindre, mais d’aimer au-delà de tout. Et la croix, plus tard, en sera le signe éclatant : la puissance divine se révèle là où l’humain échoue tant de fois, dans le don de soi.
Pour nous, Églises, cette page est un miroir. Quelle puissance voulons-nous incarner ? Celle de la fermeture, des discours exclusifs, de la peur qui se déguise en fermeté ? Ou bien celle de la patience, de l’accueil, de la confiance dans les cheminements de chacun ? La patience de Dieu devient pour nous un appel : ne pas condamner trop vite, ne pas exclure trop vite, mais croire que l’autre, même différent, est porté par l’amour du Créateur. L’Esprit de Dieu en toutes choses nous invite à poser sur le monde un regard de respect et non de mépris, de confiance et non de crainte.
Il est frappant de constater que ce texte porte la lumière de l’Évangile, même s’il ne figure pas dans notre corpus biblique. Comme si, depuis la marge, il venait nous redire l’essentiel : la toute-puissance de Dieu n’est pas domination mais toute-puissance dans la miséricorde. Nous vivons dans un monde où l’on confond souvent puissance et brutalité. Le Livre de la Sagesse nous invite à entendre une autre voix : celle d’un dieu qui aime tout ce qui existe, qui se laisse déborder par sa propre création, et qui patiente inlassablement.
Et c’est peut-être là le véritable antidote aux illusions de toute-puissance humaine. Nous ne serons jamais sauvés par nos murs, ni par nos slogans identitaires, ni par nos replis nationalistes. Nous sommes sauvés par la patience de Dieu. Elle seule donne un avenir. Elle seule ouvre la possibilité d’une vie nouvelle. Elle seule est véritablement puissante.
